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12/04/2006

Une question de chance



Le requin marteau halicorne au moment où il passe devant ma femme, juste avant d'atteindre le récif.


N°5 : Abu Kafan, au large de Safaga (Egypte), le 9 Octobre 2003

Nous avons quitté notre mouillage des Brothers le soir précédent, à contre-cœur, suite à un vote démocratique organisé par notre guide qui a passé la semaine à m’expliquer qu’en dessous de 30m, il n’y a rien à voir. Ca dépend de ce qu’on cherche. Beaucoup de requins pensent l’inverse.

Comme le soulignait Tocqueville, la démocratie, c’est le gouvernement de la moyenne. La chose s’est vérifiée une fois de plus. Il a été décidé de laisser tomber une dernière plongée sur le fantastique site de Big Brother pour se rapprocher de Safaga, notre port d’attache, et plonger sur Abu Kafan, pourtant accessible de la côte par les bateaux journaliers. Notre guide a bien vendu sa soupe aux plongeurs crédules qui nous accompagnent et la semaine sur les Brothers s’est en fait transformée en un court séjour de trois jours.

Abu Kafan, le profond, est connu pour ses tombants vertigineux qui descendent à pic à plus de 200 m de fond. Le récif est souvent balayé par un fort courant, ce qui est bon signe : « Big current, big fish ! » comme disent les sud africains.

Deux plongeurs lyonnais (habitants de Lyon), persuadés que nous sommes chanceux, décident de se joindre à notre palanquée habituelle, composée de trois suisses, de ma femme et de moi. Il faut dire qu’au cours des jours précédents ils n’ont pas vu grand chose, pendant que dans le même temps nous croisions un requin renard, plusieurs requins marteaux halicornes et une pelletée de requins gris. Il faut dire que pendant qu’ils longeaient le récif le nez collé aux coraux sans doute à guetter les nudibranches (je n’ai rien contre les nudibranches, mais il faut savoir ce qu’on cherche), nous errions dans le bleu 25 m plus loin. Le courant était, je l’avoue, fort clément pour les Brothers.

Lors du brief d’avant plongée, on nous a informés que nous serions largués par le zodiac sur la pointe nord du récif . S’il y a des requins, c’est là qu’ils seront. Nous devons ensuite nous laisser dériver en longeant le versant Ouest jusqu’à plus d’air. Le jour commence à se lever, il faut se dépêcher.

C’est parti. Pas de check en surface, ni à 5m, nous descendons directement sur le récif pour ne pas dériver avec le courant. Malheureusement, le largage a été raté. Nous sommes trop au sud et la pointe est devant nous, à contre-courant. Nous obliquons vers le versant Ouest et tant pis, nous décidons d’affronter le courant. Nous progressons difficilement rocher par rocher, en nous accrochant. Alors que je me retourne pour voir si les autres suivent, je m’aperçois que les lyonnais ont laissé tomber. Au bord de l’essoufflement, nous nous arrêtons et fixons le bleu, solidement arrimés au récif, tout en prenant garde de ne pas poser la main sur un poisson pierre ou scorpion.

Vue la profondeur qui doit être de 35 m environ, nos réserves d’air diminuent rapidement. Je m’en inquiète quand tout à coup un requin gris, fuselé comme une torpille, fait son apparition. Il décrit quelques cercles à une quinzaine de mètres s’approche puis repart dans le bleu.

Quelques secondes après qu’il ait disparu, un second requin fait son apparition. Bien qu’il soit de profil, je reconnais à son aileron dorsal qu’il s’agit d’un requin marteau hallicorne. Les rayons de soleil du matin donnent à son corps une apparence métallique. Il s’approche doucement le long du récif et commence à le survoler ou plutôt à le surnager. Afin de poursuivre ma prise, je le suis malgré le courant (je sais, il ne faut jamais suivre un requin, mais bon il s’agit d’un requin marteau hallicorne, d’ordinaire plutôt timide et inoffensif). C’est dans ces moments là et seulement dans ces moments là que les séances de musculation accomplie au cours de l’année prennent leur sens. Sa tête en marteau oscille d’un côté à l’autre. Sans doute est-il encore en train de chasser, façon détecteur de mines. Il finit par s’immobiliser face au courant et je fais de même. Il repart et n’en pouvant plus j’abandonne.

Je rejoins les autres un peu plus loin au dessus du récif. Nous nous laissons dériver quelques minutes quand tout à coup nous apercevons la silhouette caractéristique d’un requin corail, aussi connu sous le nom de requin de récif à pointes blanches. Il s’agit d’un adulte d’environ 1m50 (le requin corail ne dépasse que rarement 1m80) qui accomplit sa ronde au dessus du récif. Je le suis (décidément) et le regarde s’éloigner quand, sous un large acropore, j’aperçois un second requin corail qui tourne nerveusement. Je m’approche, il se tâpit au fond coincé par un autre bloc de corail. C’est un petit requin qui fait environ 70-80 cm, il semble nerveux. Je l’éclaire avec mes projecteur pour obtenir une meilleure prise quand j’entends ma femme qui crie dans son embout, une de ses spécialités.

Je me retourne, elle me fait signe de regarder vers le haut. C’est alors que j’aperçois d’abord trois raies mantas puis, quelques secondes plus tard, trois autres. Les six raies tournent comme un carrousel autour d’un axe constitué par les rayons diffractés du soleil. La lumière a dû attirer le plancton dont elles se nourrissent. Elles restent à tourner quelques instants, suffisamment pour que j’ai bien le temps de les filmer puis s’en vont en formation, tout en déployant leur ailes majestueuses.

Au gré de nos diverses rencontres la planquée a volé en éclat et je me retrouve à faire le palier avec ma femme et un suisse qui a perdu ses amis. Nous les retrouvons ensuite sur le zodiac qui vient nous chercher. Alors que nous rentrons, j’aperçois les premiers bateaux journaliers qui arrivent de Safaga pour passer la journée sur le récif. A leur bord, il y a sûrement des gens qui repartiront le soir en disant qu’il n’y a pas de gros sur Abu Kafan. La nature appartient à ceux qui lèvent tôt et Abu Kafan à ceux qui dorment sur place.

De retour sur le bateau, l’un des deux lyonnais que nous avions perdus en début de plongée m’explique qu’il s’est séparé de nous parce qu’il a respecté le brief (il peut donc être fier de lui) et qu’il a vu un requin corail. Je lui fait à mon tour la liste de nos rencontres qu’il écoute en fronçant les sourcils d’un air concentré. Il conclut par un magistral « En fait, c’est une question de chance ! ».

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