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21/04/2006

Dans quelles circonstances le requin bouledogue risque t-il d’attaquer ?

Ma femme en compagnie d'un requin bouledogue à Walker's Cay, à l'endroit même où le Dr Ritter connut son accident une semaine plus tard. Bahamas, Mars 2002.



Parmi les requins qui trimbalent une sale réputation, on trouve le requin bouledogue, également connu selon les zones géographiques sous le nom de bullshark, requin du Zambèze, requin du Lac Nicaragua et parfois confondu avec le requin du Gange, en fait plutôt placide. Ces diverses appellations tiennent pour partie au fait qu’il y a quelques dizaines d’années, certains, Cousteau le premier (cf. Cousteau, Les requins), croyaient qu’il s’agissait de plusieurs espèces différentes. On pensait ainsi que le requin du lac Nicaragua était une espèce endémique qui s’était retrouvée prisonnière lors d’une baisse du niveau des mers en des temps éloignés. On méconnaissait alors la capacité du requin bouledogue à remonter les fleuves comme le ferait un saumon. On ignorait son pouvoir d’adaptation à deux milieux radicalement différents, l’eau douce et l’eau de mer, rendu possible par la capacité de son foie à stocker du sel qu’il libère quand il se trouve en eau douce.

Au cours des dix dernières années, la cote d’agressivité du requin bouledogue a sérieusement augmenté. Requin encore largement méconnu de beaucoup il n’y a pas si longtemps, il est passé bien malgré lui au premier plan, en partie sous l’effet de la réhabilitation du Grand requin blanc. C’est connu, quand on disculpe un suspect, il faut vite trouver un nouveau coupable. Comble de l’ironie, on est à peu près sûr aujourd’hui que les attaques qui avait inspiré Peter Benchley pour rédiger les Dents de la mer, qui eurent lieu à Matawan Creek dans le New Jersey en 1916, étaient le fait d’un requin bouledogue. Pourquoi en est-on sûr ? Parce que Matawan Creek est situé à 20kms à l’intérieur des terres et que seul un requin bouledogue s’aventurerait aussi loin en eau douce, mais aussi parce que le dernier doute qui tenait à la température de l’eau dans le New Jersey, jugée trop froide pour un requin bouledogue, a semble t-il été levé par la récente capture d’un spécimen de cette espèce en Nouvelle-Zélande (une première). Ainsi, le requin bouledogue a totalement endossé l’ancien costume d’assassin de son lointain cousin le grand requin blanc. Les Dents de la mer, en fait, c’était lui.

Peut-on dire néanmoins que le requin bouledogue soit agressif ? Les nombreuses séries d’attaques qui eurent lieu en Afrique du Sud et notamment celles de 1974-75 après la pose des filets de protection sur les plages de la côte sud du Natal, ainsi que celles plus proches de nous lors de l’été 2001 sur les plages de Floride, semblent confirmer que oui. L’attaque dont a été victime le « scientifique » Suisse Erich Ritter à Walker’s Cay en Avril 2002, alors justement qu’il cherchait à démontrer le peu de probabilité d’une telle attaque, paraît confirmer également cette mauvaise réputation.

Le requin bouledogue est-il pour autant "agressif" ? Certes, il est impliqué dans de nombreuses attaques, même si on a tendance à lui faire porter l’entière responsabilité de séries qui impliquent peut-être également d’autres espèces, néanmoins il convient de souligner que celles-ci comportent toutes une similitude : des eaux troubles, une visibilité qui n’excède pas deux mètres dans les meilleurs cas. C’est le cas des embouchures de rivières. De surcroît, dans la mesure où le requin bouledogue s’aventure en eau douce, on n’a pas de mal à comprendre que c’est une des espèces qui s’approche le plus près des plages. Et quand il y a des vagues, l’eau est souvent trouble. On comprend mieux pourquoi les surfers sont particulièrement menacés. A Walker’s Cay, au nord des Bahamas, où Ritter connut son accident, les requins bouledogues nagent dans 50 cm d’eau et Gary Adkinson, le directeur du centre de plongée m’a affirmé qu’ils les avaient vus parfois quasiment s’échouer pour attraper un morceau de thon sur un rocher. En nageant aussi près du bord, le requin bouledogue est probablement l’espèce qui a le plus de chance de tomber nez à nez avec l’homme.

L’accident de Ritter a confirmé la thèse de l’eau trouble comme condition quasi nécessaire d’une attaque. Au cours du tournage d’une séquence pour Discovery channel, le sable du fond avait été remué par les nombreux plongeurs de l’équipe, troublant ainsi momentanément l’eau. C’est alors que survint l’attaque, précipitée par une autre cause : un rémora (poisson ventouse se nourrissant des restes du repas des requins) déroba au nez et à la barbe d’un requin bouledogue un morceau de poisson. S’ensuivit une brève course poursuite en eau trouble où le rémora, s'inspirant probablement de Tex Avery, passa entre les jambes du Dr Ritter qui se fit ensuite mordre par le squale qui le suivait. Ritter faillit y laisser sa vie et sa jambe dont il perdit néanmoins l’usage normal, alors même que le requin l’avait relâché immédiatement après avoir mordu. Dans une situation d’eau trouble, saturée d’odeur de poissons, le requin ne se dirigeait probablement plus qu’au son, au toucher et aux courants électriques tout en percevant certains contrastes de couleurs (or les jambes de Ritter étaient nues et blanches).

Cette deuxième cause que constituait le rémora est également très intéressante. Le requin bouledogue réagit soudainement et au quart de tour. J’ai moi-même plongé à Walker’s Cay avec ces bullsharks une dizaine de jours avant que ne survienne cette attaque. L’eau était cristalline. Alors que je rentrais pour la seconde fois dans l’eau, je commettais l’erreur d’introduire une de mes palmes dans l’eau un peu brusquement. Immédiatement les requins qui tournaient pour certains à quelques dizaines de mètres se dirigèrent à toute vitesse dans ma direction pour voir ce qui avait causé ces remous. L’avertissement était clair : pas de gestes brusques, pas de remous en surface, pas de basse fréquence. L’incident fut sans conséquence parce que l’eau était limpide.

Certes, les bouledogues de Walker’s Cay étaient conditionnés à réagir à de tels remous en surface parce que les morceaux de poissons qui les attiraient en cet endroit leur étaient jetés depuis une plate-forme en bois et produisaient les mêmes fréquences quand ils heurtaient la surface, mais qui nous dit qu’en chaque endroit le requin bouledogue n’est pas conditionné d’une certaine manière qui varie et qui nous échappe. En effet le territoire du requin bouledogue n’est pas aussi étendu que celui d’autres variétés et on retrouve systématiquement les mêmes individus sur les mêmes récifs à divers moments de l’année. En Afrique du Sud, des spécimens ont été retrouvés au maximum à une centaine de kms de l’endroit où ils avaient été marqués quelques années auparavant. Le requin bouledogue a donc peut être plus de raisons que d’autres grands requins d’être un animal d’habitude. Trevor Krull a constaté le même effet d’accoutumance sur Protea Banks. Il fut le premier à plonger sur ce récif en tant que pêcheur sous marin et quand il emmena les premiers plongeurs bouteilles, il semble que les requins bouledogues aient d’abord considérés que « plongeur = pêcheur sous marin ». Les premières plongées furent apparemment épiques, les requins chargeant les plongeurs et déviant leur course à la dernière seconde pour les intimider. Les plongées sur Protea débutèrent en 1993-94 et aujourd’hui, 12 ans plus tard, les requins ne sont plus aussi intéressés par les plongeurs qu’ils ont rangé dans une case apparemment sans grand intérêt pour eux. Ainsi, le comportement du bouledogue peut changer, il peut s’habituer progressivement à une nouvelle situation, ce qui le rend hautement imprévisible puisqu’on commet l’erreur de croire que tous les individus d’une même espèce se comportent de la même manière. Ceci explique aussi les différences constatées entre les différentes populations selon les endroits du monde. Ainsi on dit les requins du Zambèze plus agressifs que leurs cousins des Caraïbes, mais rien ne prouve cette assertion à ma connaissance.

En résumé, le requin bouledogue n’est certainement pas le plus agressif des requins. Il ne faut pas se méfier de cette espèce en soi, mais plutôt des circonstances dans lesquelles on peut la rencontrer. Le même individu pourra s’avérer extrêmement dangereux dans les eaux troubles et saturées d’odeur de l’embouchure d’un port comme celui de Mombassa et quasi inoffensif sur un récif en eaux claires quelques kms plus loin. Toujours à Walker’s Cay, Gary Adkinson en compagnie du Dr Fernicola mena une expérience en jetant des morceaux de poissons recouverts de plastiques alors que les requins bouledogues étaient en soi-disant situation de « frénésie » alimentaire. Il s’avéra qu’alors que l’eau était toujours cristalline, les requins n’avalèrent, ni ne mordirent le plastique, se contentant de vérifier la texture avec leur derme. Une fois de plus, l’eau était claire.

Il convient donc, quand la présence du bouledogue est probable, d’éviter les eaux troubles et saturées d’odeurs, les battements de pieds en surface et surtout de porter une combinaison de plongée sans contrastes de couleurs. A cet égard, le port de gants est préférable.

Le requin bouledogue est aujourd’hui probablement un des requins les plus menacés sur les côtes sud-africaines (cf. lien). Le danger que nous courons en sa présence est infime par rapport à celui qu’il court en la nôtre.

18:40 Publié dans Requinades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Animaux

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