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15/02/2006

Le Grand Blanc, métaphore du serial killer



Comment parler des requins et des hommes sans parler de leur principal point commun, cette histoire qui les lie depuis trente ans, les Dents de la Mer. Un modèle d’anthropomorphisme.

Dans une société qui a expulsé toutes les menaces à sa périphérie, qui a rendu la violence abstraite, une bête féroce remonte des profondeurs pour se saisir de paisibles vacanciers. La peur a de nouveau un objet qu’on peut se représenter. Comble de l’ironie, l’Homme se sent menacé par un animal en voie de disparition.

En effet, il ressort qu’une Mort blanche, mécanique et froide peut à tout moment venir interrompre d’innocentes (quoique…la nana de la première scène sait de quoi je parle) baignades. Elle peut frapper n’importe où (au large comme au bord, en mer comme en eau douce), n’importe quand (de jour comme de nuit), n’importe qui (femmes, enfants et même animaux domestiques). Ca ne vous rappelle personne.

La plage est une métaphore de ces no man’s land urbains que constituent tous les lieux de transit. Une plage, c’est une société qui ne fait que passer et qui pourtant étale ses différences comme une serviette de bain. Le périmètre de la serviette reproduit celui des clôtures qui entourent ce pavillon de banlieue que l’on habite d’ordinaire. La famille d’à côté, dont les enfants empiètent sur notre territoire, ressemble étrangement à d’autres voisins, que nous côtoyons à longueur d’année, mais dont nous ne connaissons guère que le nom. Nos proches sont finalement des anonymes qui ne nous seront d’aucun secours en cas de danger. Nous sommes seuls au milieu de la foule, comme des proies sur un quai de gare. C’est connu, les populations en perpétuel transit sont les cibles privilégiées de tueurs aveugles et anonymes. Un guépard x ne tuera certes qu’une seule gazelle y, mais toutes les gazelles sont sa proie. Du coup, c’est le troupeau tout entier qui se sent nerveux.

La menace est permanente, omniprésente, parce que non circonscrite. N’étant nulle part, elle peut être partout. Le risque est certes faible, mais cette faible probabilité est compensée par la nature même du risque : être découpé puis dévoré vivant. Le prix à payer semble d’autant plus élevé que le risque ne l’est pas.

On remarquera que le coupable désigné correspond parfaitement au portrait robot du tueur idéal. Il s’agit d’un mâle de race blanche. Il est solitaire et ses mâchoires sont garnies de sept rangées de dents acérées. On l’appelle le Grand Blanc, ce qu’il est, mais seulement vu d’en dessous. Il hante le bleu de notre psyché et habite les profondeurs de notre inconscient. Son dos, contrairement à ce que son ventre pourrait laisser croire, est noir comme les abysses. Ses dents sont le souvenir enfoui d’un temps éloigné où notre peau courrait à tout moment le risque d’être déchirée. Elles sont la preuve d’une fragilité qui nous est essentielle, d’une menace qui sera toujours là, à portée de la main, comme un couteau de cuisine.

Ce requin blanc n’est-il finalement pas rassurant, comme tous ces tueurs en série dont le nombre augmente aujourd’hui moins que l’intérêt qu’on leur porte. Tant que nous aurons peur de lui, nous ne nous méfierons pas de nous-mêmes et il restera la seule victime d'un conte de fées pour adulte dont il n'est même pas le sujet.

Vus du dessus, même les requins blancs ne le sont plus.