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22/05/2006

Le jour où plus aucun aileron ne dépassera


Ce jeune garçon fera t-il parti de la dernière génération à avoir vu un grand requin blanc en chair et en cartilage. Dyer island (Afrique du Sud), Juillet 2005.

Une étude menée par l’université de Dalhousie au Canada montre que les populations de requins de l’Atlantique Nord sont en déclin grave et auraient chuté de 50% en moyenne au cours des 15 dernières années. Pour certaines, nous ne sommes pas loin du point de non-retour. Ces études sont basées sur des taux de captures d’animaux marqués, mais aussi sur les quantités de requins pêchés par la flotte canadienne.

La situation varie sans doute selon les espèces. Ainsi le requin bleu, communément appelé peau bleue en France, résiste t-il probablement mieux, car sa maturité sexuelle est atteinte plus tôt que d’autres espèces et le nombre de petits qu’une femelle peut mettre au monde chaque année, autour de 50, est élevé pour un requin. Reste qu’on en aperçoit de moins en moins en Atlantique Est, sur les côtés anglaises (quatre ou cinq spécimens sont observés chaque année autour de l’île de Scilly), sans même parler des côtes bretonnes où il a quasiment disparu. Dans le cas du requin taupe commun, la situation est catastrophique. Pour le requin marteau hallicorne, qui a le malheur de se déplacer en immense groupe, la situation est elle aussi plus que préoccupante. 90% de baisse des prises ! Que dire du requin blanc dont les femelles n’atteignent la maturité sexuelle qu’autour de 4m50 et dont on pense que les livrées ne dépassent guère les 8 individus, même si là encore on ne sait pas grand chose. D’après cette étude, on ne l’observe plus sur au moins deux zones de pêche dans l’Atlantique Nord Ouest.

Une grande partie du problème vient de là : on ne sait pas grand chose et personne n’a vraiment intérêt à ce que ça change. Pas plus les pêcheurs professionnels que les pêcheurs dits« sportifs » pour lesquels la rareté du trophée fait sa valeur. Or le requin, situé en haut de la chaîne alimentaire, n’est pas censé subir à ce point le poids d’une quelconque prédation. Son cycle de reproduction, adapté à sa position sur cette chaîne alimentaire, est lent. Comment cette espèce pourra t-elle soutenir durablement une ponction de 150 millions d’individus par années, chiffre d’ailleurs tout à fait fantaisiste, qui traduit notre ignorance totale en la matière. On parle parfois de 100 ou de 200 millions de requins capturés chaque année. Du simple au double. C’est dire si l'on est au courant ! Nous ne faisons qu’extrapoler à partir de données en matière de tonnage qui ne sont elles mêmes pas fiables. Nous ne possédons pas de chiffre. Nous ne savons pas inventorier les populations. Nous opérons des ponctions sans même savoir la part qu’elles représentent. Une richesse disparaît devant nos yeux, sans même que nous ne le sachions. Au moins, quand les grands animaux ont commencé à se faire plus rares sur les grandes plaines africaines en a t-on pris conscience, même si ce fut un peu tard. Ce coup-ci rien, ou presque.

Pourquoi personne ne réagit-il ? La réponse est simple. Certains ne voient pas le problème, d’autres ne veulent pas le voir et d’autres encore, les pires peut-être, qui aiment hiérarchiser les choses de façon exclusive, pensent qu’il est presque malsain de s’autoriser le luxe de s’intéresser à ces animaux quand il y aurait bien d’autres problèmes plus importants à résoudre. Comme s'il fallait choisir. Ce sont toujours les mêmes qui trouvent de bonnes raisons de ne rien faire.
Bizarrement, et contrairement à ce qu’ils croient, beaucoup de choses se jouent avec la disparition des requins et notamment notre capacité à gérer ensemble à l’échelle mondiale des ressources communes. C’est pourquoi il y a lieu d’être pessimiste.

En effet, contrairement à ce que croient certains, nous ne nous en tirerons pas en reproduisant ce que nous avons fait sur la terre ferme. Quelques réserves marines ne garantiront pas la survie des espèces. Celles qui existent aujourd’hui, comme à Aliwal shoal en Afrique du Sud, montrent l’inadaptation d’une telle méthode. Les pêcheurs qui contrairement à d’autres endroits du globe respectent au moins la loi, se postent en périphérie du périmètre protégé, bien trop réduit pour des pélagiques, et capturent tout autant de pièces qu’ils le faisaient avant que la réserve n’existe. Les requins ne détectent pas les frontières virtuelles et leur terrain de chasse est hélas bien plus étendu que celui des grands prédateurs terrestres. Un lion possède en moyenne un territoire de 200km2 quant un requin plutôt sédentaire comme le requin bouledogue se déplace sur un périmètre d’au moins 150 kilomètres de long. En admettant qu’il fasse environ 20 ou 30 kms de large, ce qui ne constitue pas une hypothèse exagérée, son territoire serait de 4500km2. Pas mal pour un sédentaire. Les réserves ne servent donc qu’à protéger la faune des récifs. Pour protéger une animal marin, il ne faut pas protéger l’espace qu’il ne fait que traverser, mais l’animal lui-même. C’est ce qu’on a fait pour le grand requin blanc, c’est ce qu’on commence à faire en certains endroits pour le requin pèlerin ou le requin taureau, mais ceci n’empêche pas les captures accidentelles. Or ce n’est qu’en remontant l’animal mort ou presque qu’on découvre son identité. La pêche est une chasse où l’on tire dans le tas sans aucun discernement.

Car bien souvent le requin disparaît alors qu’il n’est pas même visé. Un dommage collatéral en quelque sorte. En effet, notre manière d’envisager l’exploitation des ressources des océans est placée sous le signe de la dilapidation. Les chalutages de fond génèrent ainsi des pourcentages de « déchets » impressionnants. On détruit des forêts entières avec leurs arbres et leur faune pour ne garder que quelques lapins. Les filets dérivants et les longues lignes constellées d’hameçons s’occupent des animaux de pleine eau. On tend d’immenses toiles d’araignées dans le ciel pour ne consommer que quelques mouches. C’est à notre façon de pêcher qu’il faudrait s’attaquer. Peut-être pourrait-on éviter certains types de pêches, dans certaines zones, à certains moments, connus de tous, qui sont des moments de migrations pour les requins, mais il faudrait pour cela pouvoir se coordonner, s’entendre. Autant dire une montagne.

Alors, que faire ? Certes poursuivre les combats que l’on vient d’évoquer, notamment celui contre les filets dérivants, mais aussi et surtout convaincre de l’inutilité de la pêche au requin. Il n’y a encore pas si longtemps, le requin était négligé. En effet, sa chair ne présente pas d’intérêt culinaire particulier et ne sert vraiment que dans les Fish and Chips, plat dont la culture culinaire mondiale pourrait fort aisément se passer. Jusqu’à récemment, quelques dizaines d’années à peine, seul son foie riche en vitamine A était considéré comme revêtant un quelconque intérêt. Ses ailerons étaient bien utilisés comme base d’une soupe dans la région de Canton, mais ce plat était jugé élitiste et banni par le gouvernement de Pékin. Ce n’est que vers la fin des années 80 avec l’ouverture de la Chine et sous l’influence est asiatique que la soupe aux ailerons de requins devint aussi prisée, notamment lors de banquets et de mariages. Or l’aileron de requin n’a aucun goût, on le mélange d’ailleurs dans cette soupe à un jus qui combine poulet et jambon et qu’il sert surtout à absorber. Selon la médecine chinoise, la soupe aux ailerons de requin, riche en protéines, aurait des vertus tonifiantes et aiderait la croissance du cartilage, mais d’un point de vue scientifique, on s’accorde à dire que le requin a peu de valeur nutritionnelle. Il se pourrait même que les fortes concentrations en mercure que contiennent les ailerons puissent à terme s’avérer dangereuses pour l’homme. C’est connu, plus un animal se situe haut dans la chaîne alimentaire, plus il pâtit des pollutions qui touchent celle-ci dans son ensemble.
Il est peut-être encore temps de sensibiliser ces populations pour qu’elles se défassent de cette coutume somme toute récente et dénuée d’intérêt culinaire ou médicinal. Tout comportement déviant d’une population de plus d’un milliard d’habitants créera systématiquement des déséquilibres voire des catastrophes. Le requin n’est qu’un exemple parmi d’autres à venir. Sa consommation est irrationnelle. Comme pour le rhinocéros, on veut s’attribuer les vertus fantasmées de l’animal en l’ingérant. Encore une fois, le requin meurt pour l’idée qu’on s’en fait.

Tous autant que nous sommes, français et espagnols, sud-africains et australiens, alimentons le marché asiatique, soit en vendant directement sur ces marchés, soit en autorisant les long liners taïwanais dans nos eaux. Nous sommes tout aussi responsables. Serons-nous collectivement capables de mettre un terme à un règne de 170 millions d’années sur les océans du globe ?

Quand le requin aura complètement disparu, nous ne le saurons même pas. Dans un monde où plus aucun aileron ne dépassera, il continuera de hanter nos rêves et demeurera à titre de possible, caché sous la surface. Alors seulement, il pourra n’être plus que cette fiction à laquelle nous l’aurons réduit.

Nous ne nous déferons pas de la peur de mourir en supprimant le requin, mais sans doute nous éloignerons nous un peu plus de la vie.

00:50 Publié dans Requinisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Animaux

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