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27/04/2006

Les requins nous prennent-ils vraiment pour des phoques ?

Pour qui ce jeune reporter de la télévision suisse prenait-il ce requin blanc? Pour un animal de cirque sans doute.
Geyser Rock (Afrique du Sud), juillet 2005


Parmi les idées reçues que l’on entend souvent depuis quelques années revient souvent celle selon laquelle les requins, dotés d’une mauvaise vue, nous confondraient, selon les cas avec des phoques ou avec des tortues, ce qui expliquerait bon nombre d’attaques.

Vu du dessous, un plongeur avec ses palmes et sa combinaison pourrait être mépris pour un phoque et un surfer et sa planche pour une tortue. L’espèce de requin à laquelle on fait référence n’est le plus souvent pas spécifiée, mais on peut supposer que les principaux concernés sont le requin blanc et le requin tigre, grands amateurs de phoques et de tortues

Il y a certainement là encore une forme d’anthropomorphisme. En effet, ne surestime t-on pas l’importance de la vue chez le requin en partant du principe qu’elle pourrait être le facteur déclenchant d’une attaque ? Joue t-elle vraiment un rôle prépondérant pour le requin tigre qui attaque parfois de nuit. C’est peut-être surtout de notre point de vue, en se fondant sur le rôle qu’elle joue chez nous, que la vision oculaire nous paraît aussi importante.

Deux éléments portent pourtant à croire que le requin tigre n’attaque pas le surfer parce qu’il se méprend. Tout d’abord, le fait que le requin tigre est probablement parmi les requins celui dont le menu est le plus varié. Le contenu de son estomac est d’ailleurs souvent assimilé à celui d’un catalogue d’objets insolites. N’y a t-on pas déjà retrouvé une plaque d’immatriculation qu’on ne voit pas bien avec quel animal marin il aurait pu confondre. La seconde raison tient au fait que le requin tigre est un requin qui « goûte » ses proies en les mordant. Là où d’autre se contentent de se frotter à elle ou de les cogner pour « voir » de quoi il s’agit, le requin tigre analyse la texture de l’objet avec sa bouche. Ce que nous percevons comme une attaque n’est ainsi bien souvent du point de vue du requin qu’une recherche d’identité.

De ces raisons, on peut déduire que le requin tigre est un prédateur opportuniste et curieux, ouvert à de nouvelles saveurs qu’il juge sur pièce. Deux bonnes raisons de se méfier du requin tigre qui n’ont rien à voir avec le fait de ressembler à une tortue. Surfer rassurez-vous, votre nouvelle combinaison imitation carapace ne vous mettra donc pas plus en danger qu’une autre ! En revanche, n’oublions pas que le surf est probablement le sport aquatique dont les pratiquants passent le plus de temps dans l’eau. Ce sont peut-être ceux qui ont le plus de chance, même si ces dernières restent infimes, de rencontrer ce chasseur opportuniste et parfois avide de nouveauté qu’est le requin tigre.

Le cas du requin blanc est un peu différent. On sait que la vue joue un rôle plus important chez ce dernier que chez le tigre. Il est souvent observé pointant le museau au-dessus de la surface, comme pour faire un tour d’horizon. Son grand œil noir est légendaire et d’ailleurs, il n’attaque pas, à ma connaissance de nuit. Ceci ne veut pas forcément dire que la vue constitue le seul sens jouant un rôle important lorsqu’il chasse. En effet, quand on connaît l’acuité de ses autres sens on peut supposer que ces derniers se combinent pour donner une image assez précise de l’animal attaqué. La forme n’est d’ailleurs sans doute pas la seule donnée. Les mouvements dans l’eau, la vitesse de déplacement sont sûrement aussi, « voire » plus important. Son cerveau, tout entier consacré à percevoir le plus précisément possible l’image présente, ne prend certainement pas les vessies pour des lanternes. On ne survit pas 180 millions d’années en commettant de pareilles bourdes.

Certes il arrive au grand requin blanc de commettre des erreurs, mais elle ne sont pas si grossières que cela. On arrive à le faire sauter en dehors de l’eau en traînant un mannequin de polystyrène en forme de jeune otarie derrière un bateau, mais la ressemblance est, dans ce cas, beaucoup plus évidente et la méprise excusable. La fausse otarie, tractée par le bateau, se déplace de surcroît à une vitesse qui rend le subterfuge crédible. Il n’en va pas de même pour un plongeur ou pour un baigneur dont la silhouette, la vitesse et les mouvements diffèrent de ceux de l’otarie.

Mais alors pourquoi le requin blanc attaque-t-il, si l’homme ne fait pas partie de son menu et qu’il ne se méprend pas ? Plusieurs explications me viennent à l’esprit. Tout d’abord, tout comme le requin tigre, il arrive au requin blanc de « goûter » avec la bouche un objet inconnu. Après avoir longtemps tourné, il tâte généralement l’appât ? Vue la taille et la dentition du grand blanc, cette séance de dégustation est généralement assimilée à une attaque. C’est ce qui s’est produit au large du Chili, il y a une dizaine d’années. Un grand blanc, aperçu en surface juste avant l’attaque, s’est emparé de la jambe d’une jeune plongeuse qui se détendait en surface. Or d’ordinaire, le grand blanc chasse toujours à l’affût, maraudant en profondeur avant de déclencher une attaque soudaine. Pour le requin, il ne s’agissait donc certainement pas d’une attaque, plutôt d’une exploration, aussi terribles que puissent être les conséquences eût égard à la taille de l’animal.

Deux autres facteurs peuvent également constituer des pistes d’explications. Il arrive peut-être au grand blanc de s’entraîner à la chasse, comme les jeunes félins le font parfois. On le constate aux pingouins morts que l’on retrouve parfois en surface dans les eaux qui entourent Dyer Island en Afrique du Sud. Les grands blancs tuent les pingouins, mais ne les consomment pas. Or il ne paraît pas concevable qu’ils les prennent pour des otaries, vue leur taille.
Il est intéressant de noter à cet égard que les grands blancs que l’on trouve autour de Dyer Island dépassent rarement les 4m50, grand maximum, alors même qu’on a aperçu des individus dépassant les 6m dans les environs. L’explication la plus plausible est que le menu du requin blanc varie au cours de sa vie. Vient un temps où en grandissant, il abandonne sans doute le régime otarie entamé à l’adolescence pour s’ouvrir à de nouvelles sources de nourritures. Ces changements de régimes nécessitent certainement des périodes d’apprentissage qui expliquent peut-être certains comportements atypiques, tout à fait exceptionnels.

En effet, les attaques dont nous parlons ici sont rarissimes comparées au nombre d’occasions probables où un requin blanc détecte la présence d’un humain (sans que l’inverse ne soit vrai) et passe son chemin. La plupart des requins tigres et des grands blancs ne nous prennent donc certainement ni pour des phoques, ni pour des tortues, mais nous, dans notre immense majorité, pour qui les prenons-nous ?

22:40 Publié dans Requineries | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Animaux

21/04/2006

Dans quelles circonstances le requin bouledogue risque t-il d’attaquer ?

Ma femme en compagnie d'un requin bouledogue à Walker's Cay, à l'endroit même où le Dr Ritter connut son accident une semaine plus tard. Bahamas, Mars 2002.



Parmi les requins qui trimbalent une sale réputation, on trouve le requin bouledogue, également connu selon les zones géographiques sous le nom de bullshark, requin du Zambèze, requin du Lac Nicaragua et parfois confondu avec le requin du Gange, en fait plutôt placide. Ces diverses appellations tiennent pour partie au fait qu’il y a quelques dizaines d’années, certains, Cousteau le premier (cf. Cousteau, Les requins), croyaient qu’il s’agissait de plusieurs espèces différentes. On pensait ainsi que le requin du lac Nicaragua était une espèce endémique qui s’était retrouvée prisonnière lors d’une baisse du niveau des mers en des temps éloignés. On méconnaissait alors la capacité du requin bouledogue à remonter les fleuves comme le ferait un saumon. On ignorait son pouvoir d’adaptation à deux milieux radicalement différents, l’eau douce et l’eau de mer, rendu possible par la capacité de son foie à stocker du sel qu’il libère quand il se trouve en eau douce.

Au cours des dix dernières années, la cote d’agressivité du requin bouledogue a sérieusement augmenté. Requin encore largement méconnu de beaucoup il n’y a pas si longtemps, il est passé bien malgré lui au premier plan, en partie sous l’effet de la réhabilitation du Grand requin blanc. C’est connu, quand on disculpe un suspect, il faut vite trouver un nouveau coupable. Comble de l’ironie, on est à peu près sûr aujourd’hui que les attaques qui avait inspiré Peter Benchley pour rédiger les Dents de la mer, qui eurent lieu à Matawan Creek dans le New Jersey en 1916, étaient le fait d’un requin bouledogue. Pourquoi en est-on sûr ? Parce que Matawan Creek est situé à 20kms à l’intérieur des terres et que seul un requin bouledogue s’aventurerait aussi loin en eau douce, mais aussi parce que le dernier doute qui tenait à la température de l’eau dans le New Jersey, jugée trop froide pour un requin bouledogue, a semble t-il été levé par la récente capture d’un spécimen de cette espèce en Nouvelle-Zélande (une première). Ainsi, le requin bouledogue a totalement endossé l’ancien costume d’assassin de son lointain cousin le grand requin blanc. Les Dents de la mer, en fait, c’était lui.

Peut-on dire néanmoins que le requin bouledogue soit agressif ? Les nombreuses séries d’attaques qui eurent lieu en Afrique du Sud et notamment celles de 1974-75 après la pose des filets de protection sur les plages de la côte sud du Natal, ainsi que celles plus proches de nous lors de l’été 2001 sur les plages de Floride, semblent confirmer que oui. L’attaque dont a été victime le « scientifique » Suisse Erich Ritter à Walker’s Cay en Avril 2002, alors justement qu’il cherchait à démontrer le peu de probabilité d’une telle attaque, paraît confirmer également cette mauvaise réputation.

Le requin bouledogue est-il pour autant "agressif" ? Certes, il est impliqué dans de nombreuses attaques, même si on a tendance à lui faire porter l’entière responsabilité de séries qui impliquent peut-être également d’autres espèces, néanmoins il convient de souligner que celles-ci comportent toutes une similitude : des eaux troubles, une visibilité qui n’excède pas deux mètres dans les meilleurs cas. C’est le cas des embouchures de rivières. De surcroît, dans la mesure où le requin bouledogue s’aventure en eau douce, on n’a pas de mal à comprendre que c’est une des espèces qui s’approche le plus près des plages. Et quand il y a des vagues, l’eau est souvent trouble. On comprend mieux pourquoi les surfers sont particulièrement menacés. A Walker’s Cay, au nord des Bahamas, où Ritter connut son accident, les requins bouledogues nagent dans 50 cm d’eau et Gary Adkinson, le directeur du centre de plongée m’a affirmé qu’ils les avaient vus parfois quasiment s’échouer pour attraper un morceau de thon sur un rocher. En nageant aussi près du bord, le requin bouledogue est probablement l’espèce qui a le plus de chance de tomber nez à nez avec l’homme.

L’accident de Ritter a confirmé la thèse de l’eau trouble comme condition quasi nécessaire d’une attaque. Au cours du tournage d’une séquence pour Discovery channel, le sable du fond avait été remué par les nombreux plongeurs de l’équipe, troublant ainsi momentanément l’eau. C’est alors que survint l’attaque, précipitée par une autre cause : un rémora (poisson ventouse se nourrissant des restes du repas des requins) déroba au nez et à la barbe d’un requin bouledogue un morceau de poisson. S’ensuivit une brève course poursuite en eau trouble où le rémora, s'inspirant probablement de Tex Avery, passa entre les jambes du Dr Ritter qui se fit ensuite mordre par le squale qui le suivait. Ritter faillit y laisser sa vie et sa jambe dont il perdit néanmoins l’usage normal, alors même que le requin l’avait relâché immédiatement après avoir mordu. Dans une situation d’eau trouble, saturée d’odeur de poissons, le requin ne se dirigeait probablement plus qu’au son, au toucher et aux courants électriques tout en percevant certains contrastes de couleurs (or les jambes de Ritter étaient nues et blanches).

Cette deuxième cause que constituait le rémora est également très intéressante. Le requin bouledogue réagit soudainement et au quart de tour. J’ai moi-même plongé à Walker’s Cay avec ces bullsharks une dizaine de jours avant que ne survienne cette attaque. L’eau était cristalline. Alors que je rentrais pour la seconde fois dans l’eau, je commettais l’erreur d’introduire une de mes palmes dans l’eau un peu brusquement. Immédiatement les requins qui tournaient pour certains à quelques dizaines de mètres se dirigèrent à toute vitesse dans ma direction pour voir ce qui avait causé ces remous. L’avertissement était clair : pas de gestes brusques, pas de remous en surface, pas de basse fréquence. L’incident fut sans conséquence parce que l’eau était limpide.

Certes, les bouledogues de Walker’s Cay étaient conditionnés à réagir à de tels remous en surface parce que les morceaux de poissons qui les attiraient en cet endroit leur étaient jetés depuis une plate-forme en bois et produisaient les mêmes fréquences quand ils heurtaient la surface, mais qui nous dit qu’en chaque endroit le requin bouledogue n’est pas conditionné d’une certaine manière qui varie et qui nous échappe. En effet le territoire du requin bouledogue n’est pas aussi étendu que celui d’autres variétés et on retrouve systématiquement les mêmes individus sur les mêmes récifs à divers moments de l’année. En Afrique du Sud, des spécimens ont été retrouvés au maximum à une centaine de kms de l’endroit où ils avaient été marqués quelques années auparavant. Le requin bouledogue a donc peut être plus de raisons que d’autres grands requins d’être un animal d’habitude. Trevor Krull a constaté le même effet d’accoutumance sur Protea Banks. Il fut le premier à plonger sur ce récif en tant que pêcheur sous marin et quand il emmena les premiers plongeurs bouteilles, il semble que les requins bouledogues aient d’abord considérés que « plongeur = pêcheur sous marin ». Les premières plongées furent apparemment épiques, les requins chargeant les plongeurs et déviant leur course à la dernière seconde pour les intimider. Les plongées sur Protea débutèrent en 1993-94 et aujourd’hui, 12 ans plus tard, les requins ne sont plus aussi intéressés par les plongeurs qu’ils ont rangé dans une case apparemment sans grand intérêt pour eux. Ainsi, le comportement du bouledogue peut changer, il peut s’habituer progressivement à une nouvelle situation, ce qui le rend hautement imprévisible puisqu’on commet l’erreur de croire que tous les individus d’une même espèce se comportent de la même manière. Ceci explique aussi les différences constatées entre les différentes populations selon les endroits du monde. Ainsi on dit les requins du Zambèze plus agressifs que leurs cousins des Caraïbes, mais rien ne prouve cette assertion à ma connaissance.

En résumé, le requin bouledogue n’est certainement pas le plus agressif des requins. Il ne faut pas se méfier de cette espèce en soi, mais plutôt des circonstances dans lesquelles on peut la rencontrer. Le même individu pourra s’avérer extrêmement dangereux dans les eaux troubles et saturées d’odeur de l’embouchure d’un port comme celui de Mombassa et quasi inoffensif sur un récif en eaux claires quelques kms plus loin. Toujours à Walker’s Cay, Gary Adkinson en compagnie du Dr Fernicola mena une expérience en jetant des morceaux de poissons recouverts de plastiques alors que les requins bouledogues étaient en soi-disant situation de « frénésie » alimentaire. Il s’avéra qu’alors que l’eau était toujours cristalline, les requins n’avalèrent, ni ne mordirent le plastique, se contentant de vérifier la texture avec leur derme. Une fois de plus, l’eau était claire.

Il convient donc, quand la présence du bouledogue est probable, d’éviter les eaux troubles et saturées d’odeurs, les battements de pieds en surface et surtout de porter une combinaison de plongée sans contrastes de couleurs. A cet égard, le port de gants est préférable.

Le requin bouledogue est aujourd’hui probablement un des requins les plus menacés sur les côtes sud-africaines (cf. lien). Le danger que nous courons en sa présence est infime par rapport à celui qu’il court en la nôtre.

18:40 Publié dans Requinades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Animaux

13/04/2006

Et si Nicole était amoureuse ?



Dyer island, Cape province (Afrique du Sud), Juillet 2005,
Un grand requin blanc sud africain, probablement dédaigné par Nicole


Une femelle grand requin blanc, Nicole (ainsi nommée d’après l’actrice Nicole Kidman, grande amie des requins), marquée en Afrique du Sud dans la province du Cap, a été revue en Australie, pour ensuite réapparaître 99 jours plus tard en Afrique du Sud. Il s’agit de la plus longue migration jamais observée pour un requin (les précédentes à ma connaissance concernait des requins bleus marqués dans le New Jersey et vers Nantucket et retrouvés respectivement dans le Golf de Biscaye et sur la côte du Natal au Brésil). Nicole a parcouru 20 000 kms.

Nul ne sait exactement pourquoi elle a accompli une telle migration. Pour de la nourriture ? C’est peu probable car on trouve a peu près les mêmes sources de nourriture en Afrique du Sud qu’en Australie (grands bancs de poissons pélagiques, colonies de phoques) ? Pour la reproduction ? Peu probable également, les grands blancs mâles sud africains sont aussi canons que les australiens et il n'y a que l'embarras du choix. Et puis de toute façon, Nicole, vue sa taille de 3m80, n’avait pas encore atteint la maturité sexuelle, puisqu’on pense qu’une femelle grand requin blanc n’atteint cette maturité que vers 4,50m.

Mais peut être que les grands requins blancs n’attendent pas la maturité sexuelle pour éprouver leurs premiers sentiments amoureux. N’avons nous pas éprouvé nous mêmes de tels sentiments dès notre plus tendre enfance. Et s’il y a plein de mâles en Afrique du sud, peut-être n’ont ils pas le charme d’un certain requin australien qu’elle a peut être rencontré un jour sur les côtes sud africaines ? Le fait qu’il y ait plein de femmes autour de nous ne nous a jamais empêchés d’en aimer une et une seule habitant à l’autre bout du monde. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour Nicole ?

12/04/2006

Une question de chance



Le requin marteau halicorne au moment où il passe devant ma femme, juste avant d'atteindre le récif.


N°5 : Abu Kafan, au large de Safaga (Egypte), le 9 Octobre 2003

Nous avons quitté notre mouillage des Brothers le soir précédent, à contre-cœur, suite à un vote démocratique organisé par notre guide qui a passé la semaine à m’expliquer qu’en dessous de 30m, il n’y a rien à voir. Ca dépend de ce qu’on cherche. Beaucoup de requins pensent l’inverse.

Comme le soulignait Tocqueville, la démocratie, c’est le gouvernement de la moyenne. La chose s’est vérifiée une fois de plus. Il a été décidé de laisser tomber une dernière plongée sur le fantastique site de Big Brother pour se rapprocher de Safaga, notre port d’attache, et plonger sur Abu Kafan, pourtant accessible de la côte par les bateaux journaliers. Notre guide a bien vendu sa soupe aux plongeurs crédules qui nous accompagnent et la semaine sur les Brothers s’est en fait transformée en un court séjour de trois jours.

Abu Kafan, le profond, est connu pour ses tombants vertigineux qui descendent à pic à plus de 200 m de fond. Le récif est souvent balayé par un fort courant, ce qui est bon signe : « Big current, big fish ! » comme disent les sud africains.

Deux plongeurs lyonnais (habitants de Lyon), persuadés que nous sommes chanceux, décident de se joindre à notre palanquée habituelle, composée de trois suisses, de ma femme et de moi. Il faut dire qu’au cours des jours précédents ils n’ont pas vu grand chose, pendant que dans le même temps nous croisions un requin renard, plusieurs requins marteaux halicornes et une pelletée de requins gris. Il faut dire que pendant qu’ils longeaient le récif le nez collé aux coraux sans doute à guetter les nudibranches (je n’ai rien contre les nudibranches, mais il faut savoir ce qu’on cherche), nous errions dans le bleu 25 m plus loin. Le courant était, je l’avoue, fort clément pour les Brothers.

Lors du brief d’avant plongée, on nous a informés que nous serions largués par le zodiac sur la pointe nord du récif . S’il y a des requins, c’est là qu’ils seront. Nous devons ensuite nous laisser dériver en longeant le versant Ouest jusqu’à plus d’air. Le jour commence à se lever, il faut se dépêcher.

C’est parti. Pas de check en surface, ni à 5m, nous descendons directement sur le récif pour ne pas dériver avec le courant. Malheureusement, le largage a été raté. Nous sommes trop au sud et la pointe est devant nous, à contre-courant. Nous obliquons vers le versant Ouest et tant pis, nous décidons d’affronter le courant. Nous progressons difficilement rocher par rocher, en nous accrochant. Alors que je me retourne pour voir si les autres suivent, je m’aperçois que les lyonnais ont laissé tomber. Au bord de l’essoufflement, nous nous arrêtons et fixons le bleu, solidement arrimés au récif, tout en prenant garde de ne pas poser la main sur un poisson pierre ou scorpion.

Vue la profondeur qui doit être de 35 m environ, nos réserves d’air diminuent rapidement. Je m’en inquiète quand tout à coup un requin gris, fuselé comme une torpille, fait son apparition. Il décrit quelques cercles à une quinzaine de mètres s’approche puis repart dans le bleu.

Quelques secondes après qu’il ait disparu, un second requin fait son apparition. Bien qu’il soit de profil, je reconnais à son aileron dorsal qu’il s’agit d’un requin marteau hallicorne. Les rayons de soleil du matin donnent à son corps une apparence métallique. Il s’approche doucement le long du récif et commence à le survoler ou plutôt à le surnager. Afin de poursuivre ma prise, je le suis malgré le courant (je sais, il ne faut jamais suivre un requin, mais bon il s’agit d’un requin marteau hallicorne, d’ordinaire plutôt timide et inoffensif). C’est dans ces moments là et seulement dans ces moments là que les séances de musculation accomplie au cours de l’année prennent leur sens. Sa tête en marteau oscille d’un côté à l’autre. Sans doute est-il encore en train de chasser, façon détecteur de mines. Il finit par s’immobiliser face au courant et je fais de même. Il repart et n’en pouvant plus j’abandonne.

Je rejoins les autres un peu plus loin au dessus du récif. Nous nous laissons dériver quelques minutes quand tout à coup nous apercevons la silhouette caractéristique d’un requin corail, aussi connu sous le nom de requin de récif à pointes blanches. Il s’agit d’un adulte d’environ 1m50 (le requin corail ne dépasse que rarement 1m80) qui accomplit sa ronde au dessus du récif. Je le suis (décidément) et le regarde s’éloigner quand, sous un large acropore, j’aperçois un second requin corail qui tourne nerveusement. Je m’approche, il se tâpit au fond coincé par un autre bloc de corail. C’est un petit requin qui fait environ 70-80 cm, il semble nerveux. Je l’éclaire avec mes projecteur pour obtenir une meilleure prise quand j’entends ma femme qui crie dans son embout, une de ses spécialités.

Je me retourne, elle me fait signe de regarder vers le haut. C’est alors que j’aperçois d’abord trois raies mantas puis, quelques secondes plus tard, trois autres. Les six raies tournent comme un carrousel autour d’un axe constitué par les rayons diffractés du soleil. La lumière a dû attirer le plancton dont elles se nourrissent. Elles restent à tourner quelques instants, suffisamment pour que j’ai bien le temps de les filmer puis s’en vont en formation, tout en déployant leur ailes majestueuses.

Au gré de nos diverses rencontres la planquée a volé en éclat et je me retrouve à faire le palier avec ma femme et un suisse qui a perdu ses amis. Nous les retrouvons ensuite sur le zodiac qui vient nous chercher. Alors que nous rentrons, j’aperçois les premiers bateaux journaliers qui arrivent de Safaga pour passer la journée sur le récif. A leur bord, il y a sûrement des gens qui repartiront le soir en disant qu’il n’y a pas de gros sur Abu Kafan. La nature appartient à ceux qui lèvent tôt et Abu Kafan à ceux qui dorment sur place.

De retour sur le bateau, l’un des deux lyonnais que nous avions perdus en début de plongée m’explique qu’il s’est séparé de nous parce qu’il a respecté le brief (il peut donc être fier de lui) et qu’il a vu un requin corail. Je lui fait à mon tour la liste de nos rencontres qu’il écoute en fronçant les sourcils d’un air concentré. Il conclut par un magistral « En fait, c’est une question de chance ! ».

07/04/2006

Machines à tuer


Roussette ou chien de mer, the Manacles, Cornwall (Royaume Uni), Juin 2004.
C'est sur un spécimen de cet espèce que des scientifiques de l'université de Boston ont posé des implants neuronaux.

Des scientifiques, financés par l’armée américaine, ont créé des implants neuronaux permettant de manipuler à distance les signaux reçus par le cerveau d’un requin et ce, afin de contrôler les mouvements de l’animal et peut être de décoder ce qu’il ressent.

Le Pentagone voudrait tirer avantage des capacités que possède le requin de se déplacer quasi-silencieusement dans l’eau, de capter les signaux électriques et de repérer des sources odorantes à très grande distance. En télécommandant les mouvements de l’animal, il souhaite transformer ce dernier en espion furtif, capable de suivre des vaisseaux sans être repéré.

Au même titre qu'on ne devrait pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes, on ne devrait jamais laisser les militaires jouer avec les découvertes scientifiques.
Il faut savoir que ce même projet a été approuvé par une commission Ethique en se fondant sur le fait que ces recherches pourraient nous renseigner sur les comportements des requins, que nous connaissons encore si mal, et qu’elles pourraient également stimuler les recherches en matière de lutte contre les effets de la paralysie.

Alors que le grand public commence à peine à comprendre que le requin n’est peut être ni une machine, ni un tueur, des Frankenstein en treillis s’acharnent à prouver l’inverse. La Nature n’est même plus domptée, elle est manipulée. Comme nous. Qui nous dit que ces requins ne transporteront pas des charges explosives? Qui nous dit que ces implants neuronaux seront demain réservés aux seuls paralytiques ? Qui aura les télécommandes ?

On n’arrête pas le progrès, certes, mais, de temps en temps, ne pourrait-on arrêter le Pentagone ?

17:00 Publié dans Requinades | Lien permanent | Commentaires (0)