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01/01/2012

Y a t-il un courant froid qui rend possible le Sardine run?

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"En évitant un prédateur, les sardines se mettent à portée d’un autre : l’homme."

 



En ce début d’année, que je ne vous souhaite pas trop degradée, j’ai décidé de faire un petit article un peu moins requinesque sur le courant froid qui remonterait en Afrique du Sud de la côte Est de la province du Cap jusqu’au Kwazulu Natal et provoquerait la migration annuelle des sardines, appelée Sardine Run. Migration dont bénéficieront notamment les requins taureaux, les requins sombres et les requins cuivres. Les requins ne sont donc pas totalement absents de ce post.

Je regardais hier un épisode de la série de documentaires de la BBC “Great events” consacré au Sardine Run et je constatais qu’on n’avait guère évolué depuis 2009 sur l’explication de ce phénomène. Les mêmes erreurs perdurent.

L’explication que donne la BBC, emboîtant le pas de certains "scientifiques", serait qu’un courant froid venu du Cap remonterait le long de la côte, comme une langue de froid, dans le sens inverse du courant .

J’aimerais faire à ce sujet une ou deux observations factuelles. J’ai assisté au Sardine Run en 2005 , j’ai plongé de nombreuses fois avec les spécialistes locaux du Run qu’il s’agisse d’opérateurs de plongée, de photographes de passionnés ou même de scientifiques.

Un premier fait m’interpelle : un opérateur de plongée local, ancien du sharks board, m’a dit qu’il n’avait jamais observé, en tout cas de la South Coast du Natal jusqu’au Nord du Transkei, un courant remontant vers le nord. Le courant va toujours invariablement dans le meme sens en direction du sud ouest. C’est le courant qu’on appelle le courant des Aiguilles (Agulhas current), du nom de Cape Agulhas, le point le plus au sud du continent africain.

Certains se demanderont alors comment font les sardines pour remonter à contre-courant. La réponse à mon avis est qu’elle n’avancent que les jours où le courant est le moins fort.  En effet, les jours où j’ai pu observer des baitballs en mer, ou meme des poches des sardines depuis la plage, le courant était relativement clément.

Une chose est vraie néanmoins : il faut que la temperature de l’eau descende en dessous de 20°c, 19°c très exactement pour que les sardines apparaissent.

Je suis  sorti en mer tous les matins de 7 heures à 2 heures de l’après midi pendant deux semaines. La première semaine, la temperature de l’eau oscillait entre 22 et 23°c. Pas une sardine. C’est seulement quand la temperature est tombée à 19°c que les poches sont apparues. D’après les spécialistes locaux, elles resteraient au large, en profondeur quand la temperature du bord est trop chaude. Quoiqu’il en soit, quand la temperature a atteint les 19°c et que les baiballs ont commence à fleurir (3 en 2 jours), pas de trace d’un courant remontant le long de la côte.

Si les sardines s’approchent de la côte, c’est donc peut être pour une autre raison. Je ne sais laquelle. Est-ce par ce que la côte leur semble un meilleur endroit pour se protéger de certains prédateurs, les requins et les dauphins notamment qui en s’approchant du bord courent le risque de s’échouer (risque que certains prennent, parfois à leurs propres depens cf. http://www.youtube.com/watch?v=2BX-F5iVdk8)? Si c’est le cas les sardines ne sont pas bien inspirées. En évitant un prédateur, elles se mettent à portée d’un autre : l’homme.

Du coup, l’explication la plus plausible me paraît là encore être le courant des aiguilles, venant en sens inverse de leur progression. Peut être est-ce en longeant la côte qu’elles s’en protègent le mieux, comme le font des plongeurs qui se collent à un récif pour se protéger?

Ainsi, lors du Sardine Run, ll n'y aurait donc pas de courant qui remonterait vers le Nord, juste des sardines qui remonteraient à contre-courant en rasant les murs.

 

 

 

 

 

07/08/2007

Shark Spotting

Je viens d’apprendre que ces derniers mois à Cabo Catoche au Mexique avait été observée la plus grande congrégation de requins baleines jamais vues. Entre 800 et 1400 individus, apparemment (c’est le moins que le puisse dire). En tous cas, c’est ce que disent les scientifiques qui les ont observés.

Une nouvelle merveille de la Nature ?

Sans doute pas.

Car dans deux ans, des bateaux de pêche venus de tous les pays pointeront leur museau pour ratisser en bordure des eaux territoriales mexicaines ces ressources qui ne leur appartiennent pas. Les scientifiques qui croient protéger la Nature attirent souvent les massacreurs. Les écologistes sont des indics.



Une fois, à Pemba, au large de la Tanzanie, j’eus cette sensation. Nous venions de plonger sur un point appelé Manta Point à la tombée de la nuit et, le lendemain matin, au réveil, nous découvrîmes que les locaux avaient jeté un filet en travers même de ce point du récif.

Protea Banks a d’abord été signalé par des pêcheurs. Ils ont sans nul doute d'abord été des découvreurs, mais aujourd’hui, ce sont les plongeurs qui leur révèlent des secrets qu’ils ne devraient pas connaître. Les pêcheurs, désormais à la traîne, sont les principaux acheteurs des caméras sous marines ultra-perfectionnée que nous montrent certains documentaires.

Récemment deux conserveries se sont ouvertes dans le Cap Est pour traîter les prises liées au Sardine Run. Nul ne peut m’empêcher de penser que la médiatisation de l’évènement a un peu exposé ces poissons.

Ceux qui se sont émerveillés devant la vie marine en un certain moment en un certain endroit devraient se taire. Pour ne pas ébruiter l’information. Comme pour un restaurant qui gagnerait à n’être dans aucun guide.

05/06/2007

Des tigres en Afrique ?

Mais oui voyons, des requins tigres. Il se trouve que ce site manque récemment d’informations fraîches, de celles qu’on ne lit pas partout sur Internet. C’est pourquoi je me suis dit qu’il était temps d’aller en cueillir quelques unes à la source. Des nouvelles de première main.

La semaine prochaine, je pars plonger en Afrique du Sud voir les Tigres d’Aliwal shoal. J’ai déjà tenté le coup deux fois, en 2003 et en 2005, mais pour des raisons qui ont varié entre l’absence de requin en 2003 (la technique pour les attirer n’était pas encore aussi éprouvée qu’aujourd’hui) et une malencontreuse gueule de bois des marins en 2005, les sorties sont à chaque fois tombées à l’eau, si je puis dire.

Cette fois ci sera la bonne et si tout se passe bien, j’irais plonger deux fois avec eux. Au début, mon souhait était de retourner chasser les boules d’appât du Sardine Run, mais j’ai préféré opter pour un plan B, car pour la seconde année consécutive, le Sardine Run s’annonce bien mal. Peu de poches ont été aperçues pour le moment. L’année dernière déjà, on n’avait rien vu sur les plages du Kwazulu Natal.

Cette fois-ci, on peut définitivement dire qu’il y a un dérèglement. C’est la deuxième fois de suite alors même qu’il n’y avait déjà pas eu de Sardine run en 2004, sans doute ce coup-ci pour des raisons de fin de cycle. Ainsi, il n’y a donc eu qu’un seul vrai Run depuis 2003. Ces deux dernières années sont particulièrement suspectes. Le réchauffement climatique et El Nino ont beau dos.

Il se murmure que le gouvernement sud africain aurait accordé des permis de pêche à d’énormes chalutiers qui moissonnent le banc de sardines avant même qu’il n’ait quitté la région du Cap. Il se dit que le port de Mossel Bay est rempli de cette flotte, que l’endroit serait pris de frénésie quand elle déverse ses flots de poissons. On songerait même à construire deux conserveries sur place. Le Sardine Run, phénomène naturel sans équivalent au monde, qui se déroule inlassablement et cycliquement sans doute depuis des centaines de milliers d’années, est suspendu jusqu’à nouvel ordre sur intervention d’une poignée d’épuiseurs de ressources. Les centaines de milliers de dauphins et de requins qui sont venus pour l'occasion se sont déplacés pour rien. Leurs frais de voyage ne seront pas remboursés. C’est scandaleux. Je ne sais ce qu’on peut faire, ni à qui écrire. Je vous le ferais savoir dès que j’en saurais plus. Et surtout je vous dirais à mon retour si ces funestes rumeurs se sont vérifiées, en fonction de la présence ou non des sardines.

Quoi qu’il en soit, et pour éviter de contempler la surface de dépit, je m’en vais voir les tigres d’Aliwal, je l’espère quelques raggies, et entre une plongée à Protea Banks et une autre à Sodwana, je croiserais bien quelques baleines.

J’ai constaté sur You Tube que l’on n’attirait plus les Tigres recroquevillé dans un petit renfoncement du récif à Aliwal. Désormais, la chose se fait apparemment en pleine eau. Des morceaux de poissons sont déposés dans un seau qui pend de la surface. De nombreux requins sont attirés, notamment des requins à pointe noire. Je suis curieux de voir en quoi cette technique diffère de celle de Walker’s Cay et son Shark Rodeo.

Certes, je désapprouve officiellement ces pratiques, certes je préférerais naturellement voir un banc de sardines attaqué par une horde de requins sombres, mais je ne peux m’empêcher d’y aller, pour voir ces énormes requins à rayures de très près, des fois que demain ce ne soit plus possible... comme pour les sardines.

Tant pis pour moi ou pour le concert des Daft Punk. Si j'y pense, je les écouterais sur mon autoradio. On the Sunshine Coast.

14/02/2007

Un requin blanc affectueux

La sharkuterie a un an. Déjà. Inutile de répéter à cette occasion les constatations de la nouvelle année. En guise de cadeau d’anniversaire, je préfère vous offrir mes conclusions sur une drôle d’histoire de requin pris d’affection pour un être humain.

Une rumeur persistante dans le subaquatique virtuel voudrait qu’un requin blanc se soit pris de sentiments pour un de ces marins embarqués à bord d’un des charters touristiques qui les appâtent chaque jour autour de l’île de Catilina, en Nouvelles Galles du Sud (c’est en Australie).

Peu probable. C’est le moins qu’on puisse dire.

Les requins blancs patrouillent un territoire immense et ne restent guère plus d'une semaine dans une endroit donné comme Catilina; même s'ils y reviennent une ou deux fois par an Pas vraiment le temps de nouer une relation durable.. Je ne connais pas l'Australie, mais c'est le comportement qu'on observe chez les blancs "sud-africains", qui d'ailleurs visitent aussi l'Australie.

Comme toute rumeur, cette nouvelle s’est auto-générée. J’ai d’ailleurs assisté personnellement à ses débuts sur la toile : au commencement fut une citation venue d’Australie qui se référa rapidement à un site français qui soi-disant propageait l’information et dont les australiens se sont fait l’écho. Rapidement des Français ont fait à nouveau fait référence à cette nouvelle venant des antipodes. On pourrait appeler ça le double effet boomerang.

En moins de temps qu’il n’en faut à un caméléon pour replier sa langue, les sites du monde entier se sont référés à cette nouvelle.

Aucune vérification, juste la pure joie de croire, de voir blanc quand on vous a pendant aussi longtemps dit noir. Une rumeur ne se diffuse jamais en fonction de sa véracité, mais de l’envie que l’on a d’y adhérer. Les requins blancs, de ce que j’en sais, ne sont que rarement affectueux. Mais il faut voir. ..

Il existe certes certains spécimens que l’on pourrait qualifier d’amicaux, mais un ami à moi vous dirait que c’est un jugement relatif. Ils ne sont pas plus amicaux que d’autres sont agressifs. Le requin blanc est un requin auquel on prête beaucoup d’intentions. En plus de 3500 plongées au sud de Durban, cet ami n’en a rencontré en tout et pour tout que cinq, alors même que ces eaux en sont dites infestées. Six peut-être, mais il n’en est pas complètement sûr. Ce dernier spécimen s’étant planqué dans les coulisses de la visibilité, lors du sardine run 1999. Une fois seulement, un de ces requins s’est intéressé à lui. Etait-il agressif pour autant ? Ce doute lui valut une longue attente au fond qui lui coûta 20 minutes de palier qu’il s’empressa d’ignorer en la présence de cet encombrant visiteur. En surface, on se sort plus souvent d’un accident de décompression, aussi grave soit-il, que d’un choc avec un camion hérissé de lames de rasoirs qui se prend pour Appollo 16 au décollage. Il en fut quitte pour aller faire son pallier un kilomètre plus loin.

Une autre connaissance, experte en grands blancs celle-ci, m’a un jour expliqué comment étaient obtenues les photos, impressionnantes, que l’on trouve d’apnéistes sans cage faisant face à cet animal.

Se mettre à l’eau en présence d’un grand blanc suppose que soient réunies bien des conditions qui ne s’obtiennent que rarement. Il n’est pas dit que la chose soit forcément si dangereuse que cela autrement, mais personne n’a tenté le coup.

Quand la visibilité est bonne et seulement quand la visibilité est bonne, que le requin est coopératif, alors seulement la dispense de cage est envisageable. On peut alors enviager de se mettre à l’eau. A condition là encore qu’un second marin se poste en hauteur pour guetter la présence d’un éventuel second visiteur. Le requin blanc comme le léopard chasse à l’affût. Pas de quoi généraliser donc. Ces situations sont assez exceptionnelles, surtout quand cherche à le rencontrer sur son terrain de chasse, après lui avoir fait miroiter un morceau de thon dans une eau saturée d’odeurs de poissons.

J’ai cependant entendu dire que certains requins témoigneraient parfois de ce qui pourrait être pris comme de l’affection.

Gary Adkinson m’a affirmé qu’un jour, à Walker’s Cay, la plus massive des femelles bouledogue qui patrouille les côtes de l’île est venue se frotter à une plongeuse particulièrement confiante. D’après lui, cette jeune fille aurait bénéficié d’une aura qui lui confèrerait un pouvoir particulier sur les animaux en général et sur les requins en particulier. Entre femelles, on s’entend parfois. Etait-ce pour autant des marques d’affection ? J’en doute car Gary Adkinson n’est pas dépourvu d’un certain mysticisme enthousiaste.

Ce que je pense, c’est que si les requins n’ont pas changé radicalement de comportement pendant plusieurs millions d’années, c’est sans doute parce que celui-ci les a protégés. Leurs gestes d’agressivité d’hier se sont juste transformés aujourd’hui en gestes affectueux, à nos seuls yeux.







04/03/2006

Le sens dans lequel tournent les sardines



Requins sombres et dauphins communs limant la boule de sardines



N°1 : Southport, Kwazulu Natal (Afrique du Sud), le 29 Juin 2005)


Le mois de Juin, sur la côte du Kwazulu Natal, c’est le temps de la migration des sardines… quand elles viennent. En effet, il n’y a pas eu de migration en 2003 et seulement quelques poches ont été aperçues en 2004, mais une seule poche peut suffire à faire l’expérience d’une vie.
D’après Trevor Krull et Grant Smith, que nous accompagnons depuis 10 jours à raison de sept heures de Zodiac chaque jour, il s’agirait d’un cycle coïncidant avec El Nino. Tous les 5 ou 6 ans, il n’y a pas de migration et l’année qui suit est généralement une petite année. C’est le fruit de ses observations et non de la théorie. La migration devrait donc reprendre en 2005. Doucement.

Pas si sûr, car des oiseaux de mauvaises augures pensent que le réchauffement climatique et la surpêche ont peut être mis un terme au phénomène ou l’on peut être déréglé. J’en doute car le trou dans la couche d’ozone qui génère le réchauffement est au nord et nous sommes au sud, là où toutes les choses tournent dans l’autre sens, comme Coriolis l’a révélé.

Rien ne s’est vraiment passé les sept premiers jours, mais les fous montés du Cap étaient là. Ils n’étaient pas là en 2003. Je le sais, on me l’a dit.
En trois jours, les choses ont bien changé. L'eau est à 19°, alors qu'elle était à 22° les jours précédents. Une température de sardine (comme quoi ce n'est pas une question de contre-courant, que personne n'a d'ailleurs jamais observé). Elles sont maintenant partout. Avant hier, nous avons vu des requins cuivres sauter en dehors de l’eau, sans que nous arrivions vraiment à distinguer où se trouvait la poche qu’ils attaquaient et qui se déplaçait vers le Nord en ordre un peu dispersé. Nous n’avons pu vérifier de visu car l’eau était bien trop trouble, donc bien trop dangereuse pour plonger. Un jeune anglais qui nous accompagne et qui en doutait en a fait la constatation à peu de frais. Alors qu’il venait de se mettre à l’eau pour tenter de s’approcher de deux dauphins communs, ce qui était probablement un requin cuivre l’a bousculé et en quelque sorte goûté avec sa peau.

Hier, nous avons enfin trouvé la boule d’appât pour laquelle nous sommes venus, mais nous n’avons pas pu entrer dans l’eau. La visibilité était de 2m et, du coup, les requins mangeaient dans le noir.
Une boule d’appât est une poche de sardines que les dauphins isolent du banc principal et font remonter à la surface en l’effrayant par des rideaux de bulles. Afin de se protéger, chaque sardine se met à tourner en rond et l’ensemble forme une espèce de toupie géante.
Une boule d’appât, c’est un modèle d’individualisme, aussi lâche qu’une société qui part en couille et qui va le payer jusqu’à son dernier membre. Chaque sardine se protège par l’autre, croient-elles, alors qu’elles ne pensent qu’à elles-mêmes. C’est l’effet meute. Sauf qu’une meute de gazelles est plus intelligente. Au moment de l’attaque d’un prédateur, chacune part dans une direction différente : l’intérêt de chacun sert celui de tous. Parfois, souvent d’ailleurs, tout le monde s’en sort. Les sardines, elles, ces connes, préfèrent tourner en rond plutôt que de partir chacune dans une direction. L’intérêt de chacune dessert celui de toutes. Une à une, elles se feront avaler et la toupie géante disparaîtra, comme un évier qui se vide, dans le sens de rotation que Coriolis a révélé.

Ce matin, comme chaque matin, nous avons quitté la base à 7h. Très vite, un message radio nous a indiqué qu’une boule d’appât était en train d’être attaquée par des requins renard. Personne n’a jamais photographié ou filmé un requin renard en train de se rassasier. Chasse t-il vraiment avec sa longue queue ? Cherche t-il à tuer de la sorte ou juste à donner des claques aux poissons? Quand nous arrivons, non seulement la bataille est finie, mais en plus la cavalerie est partie. La vérité, nous ne la connaîtrons peut-être jamais.

Heureusement, la radio nous signale une autre poche d’activité, non loin de là, à deux kms plus loin. Sauf qu’à l’oeil nu, à juste 600 m, des oiseaux, de bonne augure cette fois, dénoncent par leur carrousel aérien un centre d’activité que personne n’avait encore remarqué. Ils plongent les ailes fermées de 15 m de haut, comme les fous qu’ils sont. C’est Pearl harbor dans l’océan indien. En fait non, car ces Kamikazes ressortent de l’eau. Nous nous approchons. Les dauphins communs patrouillent la zone. Cette fois il y a au moins 7m de visibilité. Nous allons enfin pouvoir nous mettre à l’eau.

De la surface il semblerait qu’il s’agisse d’une petite poche. Le zodiac nous dépose à une quinzaine de mètres de l’emplacement que les plongeons des oiseaux, ainsi qu’un léger bouillonnement sporadique en surface, nous désigne. Quelques ailerons de requins, dorsaux et caudaux déchirent de temps à autre la surface. Il s’agit de requins sombres que les anglo-saxons appellent Duskies (Carcharhinus obscurus). Nous sommes huit plongeurs. Mes compagnons s’équipent de bâtons pour repousser les éventuels curieux qui se feraient trop pressants. Vu la taille des requins, qui atteint trois mètres pour les plus gros, ces bâtons sont plus là pour rassurer qu’autre chose. Mais bon, Cousteau ne prétendait-il pas que le « débordoir », sorte de bâton à bout clouté, était la seule protection vraiment utile face à un requin. Quoiqu’il en soit, je ne me pose même pas la question, puisque mes deux mains sont occupées à tenir mon caisson vidéo.

Afin de rester mobile et de pouvoir remonter à tout moment, nous avons laissé les bouteilles sur le zodiac et nous sommes munis d’un simple tuba. Nous nageons en groupe vers la boule d’appât. Peu à peu des silhouettes apparaissent derrière un rideau de bulles et de particules en suspension. D’abord des dauphins communs, généralement par petites escadres de trois, puis des requins qui passent en dessous de nous et disparaissent en descendant vers le fond. Enfin nous apercevons la masse de sardines. Les dauphins travaillent à maintenir la boule compacte. Ils la frôlent pour l’obliger à se resserrer. Les requins, eux, semblent attendre leur tour en dessous tout en bloquant toute sortie vers le bas.

Il convient de ne pas trop s’approcher de la boule car celle-ci est extrêmement mobile, comme un punching ball, et l’on aurait vite fait de se retrouver au beau milieu. Trevor semble extrêmement nerveux, un peu agacé par l’inconscience d’un plongeur qui s’approche beaucoup trop près. Il faut dire qu’il y a trois ans, c’est à dire lors de la dernière apparition des sardines, un photographe pris au milieu de la boule s’est fait mordre par erreur par un requin cuivre. Cette fois, même si quelques requins cuivres sont présents, il s’agit surtout de requins sombres, bien plus gros, dont la morsure pourrait être beaucoup plus sérieuse.

Je me sens dopé par l’excitation. Je n’avais jamais vu autant de requins d’un coup, y compris lors d’un shark feeding au Bahamas. Ils sont partout, entourés d’oiseaux qui se servent de leurs ailes comme de nageoires et poursuivent les sardines jusqu’à trois ou quatre mètres. Par curiosité, je décide de faire une petite apnée. Je descends vers les sept/huit mètres, c’est encore pire. C’est la place de l’étoile à six heures du soir, sauf que toutes les voitures ont des ailerons. Je n’ose descendre plus bas. Le courage et l’air me manquent. Il faut dire que le plongeur auquel j’avais fait signe avant de faire mon canard ne m’a pas suivi. Je me sens un peu seul.

A la surface, c’est un peu l’anarchie parmi les plongeurs. Trevor est de plus en plus nerveux. Il nous demande de faire nage arrière. Il repousse quelques requins un peu trop curieux qui dès qu’ils sont piqués s’éloignent nerveusement d’un coup de queue. Une exception cependant. Un requin sombre, beaucoup plus long et gros que les autres, reste sans réaction après avoir été piqué. Il se contente de regarder mon compagnon avec ce qu’on pourrait prendre soit pour de l’incompréhension, soit pour du mépris. Il semble se dire « Qu’est-ce que cette chose me veut? ». Un des rares requin cuivre présent disperse sur son passage quelques fous du cap qui s’éloignent à tire d’aile, comme des pigeons s’envoleraient devant un piéton.


La boule d’appât revient vers moi. Très près. Trop près. Je m’éloigne et m’apprête à tenter une nouvelle apnée quand je m’aperçois que ma caméra ne réagit plus aux commandes. De l’eau vient d’entrer dans mon caisson. Je décide de le maintenir en dehors de l’eau tout en retournant vers le zodiac. Ca tombe bien, les requins sont de plus en plus inquisiteurs. De toute façon, je ne veux pas être dans l’eau quand ils en auront fini avec les sardines qui sont de moins en moins nombreuses.

Je retourne au zodiac rejoindre Grant qui est resté de garde. Génial lui dis-je en lui passant mon caisson inondé. A bord, j’assiste à la fin du repas en filmant avec ma seconde caméra. Elles y passeront toutes, gobées, comme des cacahuètes, jusqu’à la dernière.
Après coup, deux questions demeurent : Pourquoi suis-je aussi heureux alors que j’ai ruiné une bonne partie de mon matériel ? Est-ce que les sardines de l’hémisphère nord tournent dans l’autre sens, comme Coriolis l'a révélé ?