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14/02/2007

Un requin blanc affectueux

La sharkuterie a un an. Déjà. Inutile de répéter à cette occasion les constatations de la nouvelle année. En guise de cadeau d’anniversaire, je préfère vous offrir mes conclusions sur une drôle d’histoire de requin pris d’affection pour un être humain.

Une rumeur persistante dans le subaquatique virtuel voudrait qu’un requin blanc se soit pris de sentiments pour un de ces marins embarqués à bord d’un des charters touristiques qui les appâtent chaque jour autour de l’île de Catilina, en Nouvelles Galles du Sud (c’est en Australie).

Peu probable. C’est le moins qu’on puisse dire.

Les requins blancs patrouillent un territoire immense et ne restent guère plus d'une semaine dans une endroit donné comme Catilina; même s'ils y reviennent une ou deux fois par an Pas vraiment le temps de nouer une relation durable.. Je ne connais pas l'Australie, mais c'est le comportement qu'on observe chez les blancs "sud-africains", qui d'ailleurs visitent aussi l'Australie.

Comme toute rumeur, cette nouvelle s’est auto-générée. J’ai d’ailleurs assisté personnellement à ses débuts sur la toile : au commencement fut une citation venue d’Australie qui se référa rapidement à un site français qui soi-disant propageait l’information et dont les australiens se sont fait l’écho. Rapidement des Français ont fait à nouveau fait référence à cette nouvelle venant des antipodes. On pourrait appeler ça le double effet boomerang.

En moins de temps qu’il n’en faut à un caméléon pour replier sa langue, les sites du monde entier se sont référés à cette nouvelle.

Aucune vérification, juste la pure joie de croire, de voir blanc quand on vous a pendant aussi longtemps dit noir. Une rumeur ne se diffuse jamais en fonction de sa véracité, mais de l’envie que l’on a d’y adhérer. Les requins blancs, de ce que j’en sais, ne sont que rarement affectueux. Mais il faut voir. ..

Il existe certes certains spécimens que l’on pourrait qualifier d’amicaux, mais un ami à moi vous dirait que c’est un jugement relatif. Ils ne sont pas plus amicaux que d’autres sont agressifs. Le requin blanc est un requin auquel on prête beaucoup d’intentions. En plus de 3500 plongées au sud de Durban, cet ami n’en a rencontré en tout et pour tout que cinq, alors même que ces eaux en sont dites infestées. Six peut-être, mais il n’en est pas complètement sûr. Ce dernier spécimen s’étant planqué dans les coulisses de la visibilité, lors du sardine run 1999. Une fois seulement, un de ces requins s’est intéressé à lui. Etait-il agressif pour autant ? Ce doute lui valut une longue attente au fond qui lui coûta 20 minutes de palier qu’il s’empressa d’ignorer en la présence de cet encombrant visiteur. En surface, on se sort plus souvent d’un accident de décompression, aussi grave soit-il, que d’un choc avec un camion hérissé de lames de rasoirs qui se prend pour Appollo 16 au décollage. Il en fut quitte pour aller faire son pallier un kilomètre plus loin.

Une autre connaissance, experte en grands blancs celle-ci, m’a un jour expliqué comment étaient obtenues les photos, impressionnantes, que l’on trouve d’apnéistes sans cage faisant face à cet animal.

Se mettre à l’eau en présence d’un grand blanc suppose que soient réunies bien des conditions qui ne s’obtiennent que rarement. Il n’est pas dit que la chose soit forcément si dangereuse que cela autrement, mais personne n’a tenté le coup.

Quand la visibilité est bonne et seulement quand la visibilité est bonne, que le requin est coopératif, alors seulement la dispense de cage est envisageable. On peut alors enviager de se mettre à l’eau. A condition là encore qu’un second marin se poste en hauteur pour guetter la présence d’un éventuel second visiteur. Le requin blanc comme le léopard chasse à l’affût. Pas de quoi généraliser donc. Ces situations sont assez exceptionnelles, surtout quand cherche à le rencontrer sur son terrain de chasse, après lui avoir fait miroiter un morceau de thon dans une eau saturée d’odeurs de poissons.

J’ai cependant entendu dire que certains requins témoigneraient parfois de ce qui pourrait être pris comme de l’affection.

Gary Adkinson m’a affirmé qu’un jour, à Walker’s Cay, la plus massive des femelles bouledogue qui patrouille les côtes de l’île est venue se frotter à une plongeuse particulièrement confiante. D’après lui, cette jeune fille aurait bénéficié d’une aura qui lui confèrerait un pouvoir particulier sur les animaux en général et sur les requins en particulier. Entre femelles, on s’entend parfois. Etait-ce pour autant des marques d’affection ? J’en doute car Gary Adkinson n’est pas dépourvu d’un certain mysticisme enthousiaste.

Ce que je pense, c’est que si les requins n’ont pas changé radicalement de comportement pendant plusieurs millions d’années, c’est sans doute parce que celui-ci les a protégés. Leurs gestes d’agressivité d’hier se sont juste transformés aujourd’hui en gestes affectueux, à nos seuls yeux.







11/01/2007

Un grand blanc qui en dit long

La blancheur est un signe : c’est l'approche de la mort, de la douleur, de la disparition. C’est la couleur de la réalité nue, de l’absence qui est toujours un brouillard qui s'étire vers le sud. Blanc cassé, mort vivant.

Certaines modalités de la perception visuelle génèrent d’autres perceptions, auditives, qui vont dans le même sens. La blancheur dans la voix invite à remplir le silence qu'elle nous livre.

Il y a des blancs qui en disent long, comme des requins de six mètres.

28/12/2006

La réputation du longimanus est-elle justifiée ?


Quand les requins aux longues mains s'approchent.


Il existe un classement officieux des requins dits les plus dangereux et, selon ce classement, le requin longimanus arrive bien souvent en quatrième position, loin derrière le blanc, juste derrière le bouledogue et le tigre. Si l’on rapporte ce classement aux modes de vie des espèces citées, on s’aperçoit que le longimanus est le seul parmi celles-ci à ne jamais s’approcher des côtes. C’est le seul requin du large. Que fait-il donc dans ce classement ? Les chances pour un homme de le rencontrer dans l’eau sont si faibles qu’on pourrait en venir à se demander s’il n’est pas d’autant plus dangereux qu’on ne le croise pas souvent. Et pourtant, en une fois comme lors du naufrage de l’Indianapolis, il a probablement fait plus de victimes que certaines espèces en cent ans (cf.article précédent).

Profilé comme un avion, le longimanus, n’était-ce pour sa couleur et la pointe de ses nageoires, est la quintessence même du requin, son eidos. C’est l’idée même qu’on s’en fait, froide et abstraite comme la mort. Le longimanus est un requin à part, un véritable chien de mer, un prédateur, un rapace qui plane dans le bleu. Pour lui, toute nouveauté prend la forme et le corps d’une opportunité. Une chose à essayer. Son sourire est ambiguë, donc sadique, comme une arme blanche, qui peut servir à tout et à n’importe quoi.

Pendant longtemps, le longimanus fut le requin qui hanta les cauchemards de tous les marins du globe. Ayant pour habitude de suivre les bancs de cétacés, il n’est pas étonnant qu’il se soit également mis à suivre les bateaux, à l’affût de toute nourriture qui pourrait être jetée par dessus de bord. Inutile de souligner que du coup, il incarna aux yeux des marins cette menace lugubre qui planait au-dessus de tout homme qui aurait le malheur de tomber à l’eau. On avait l’habitude de l’appeler alors aileron blanc du large. Les baleiniers eurent fréquemment l’occasion de goûter sa compagnie. Une baleine morte attire en effet ce requin dans les zones où il est présent. Et comme bien souvent il constitue l’espèce dominante parmi les requins du large, il est probable que le longimanus se soit souvent montré aux yeux des marins comme un des meneurs de l’orgie marine que provoque immanquablement un cétacé mort. Cousteau rapporte une telle situation dans Le Monde du Silence où d’ailleurs il s’acharne avec une sauvagerie incompréhensible sur plusieurs membres de cette espèce n’ayant commis pour seule faute que de suivre leur odorat et leur instinct. Autre temps…

Mais il existe tout de même d’autres raisons qui font que le longimanus tient une place à part parmi tous les requins. Alors que la plupart des requins nous fuient ou nous ignorent, le longimanus nous jauge en permanence. Sa réputation n’est pas totalement usurpée. J’en fis l’expérience à Elphinstone. Après trente minutes de plongée à la pointe sud du récif passées entre 5 et 10m de profondeur sous les bateaux en compagnie des longimanus, ce ne fut que lorsque le nombre de plongeur se réduisit à trois que ceux-ci s’approchèrent vraiment. Le nombre de plongeur changeait le regard qu’ils portaient sur chacun de nous. C’est en nombre seulement que les plongeurs les intimidaient. Alors que nous attendions non loin de l’échelle de plongée, deux longimanus vinrent m’inspecter de fort près. Il semblerait que la lumière de mes deux phares ainsi que mon objectif grand angle aient particulièrement attirés leur attention. Au moment même où je mettais mes feux en marche, le requin dévia sa trajectoire, me fit face, vint coller son museau à un centimètre de l’objectif, sans toutefois le toucher et poursuivit son chemin dans le bleu.

Quelques secondes plus tard, un autre longimanus vint me défier à nouveau de face. C’est alors qu’avec mes deux camarades, nous nous aperçûmes que les requins qui n’étaient que deux ou trois à tourner autour de nous jusque-là, étaient désormais au nombre de six ou sept et s’approchaient de plus en plus près. Impossible de les tenir tous à l’œil. Nous décidâmes d’un commun accord de sortir de l’eau. Certains disent que le longimanus attaque toujours de dos, c’est pourquoi il ne faut jamais se méfier de celui que l’on voit, mais toujours de celui qu’on ne voit pas.
Même expérience une autre fois aux Brothers, presqu’à la tombée de la nuit où je me retrouvais entouré de longimanus et de requins soyeux. Le nombre de plongeur immergés réduisant et la lumière baissant, les requins devenaient de plus en plus curieux. Ceux qui sont restés plus longtemps dans l’eau disent que l’étape suivante consiste en une variante ou le requin vient heurter le plongeur et mordre ses palmes. Il est alors vivement conseillé de sortir de l’eau. On rapporte également moults incidents ou des snorkeler isolés ont été « ennuyés » par le longimanus. Un classique également : les snorkelers qui se font déposer au milieu d’un banc de dauphin. Les dauphins s’en vont et vous connaissez la suite. Quoiqu’il en soit il apparaît que le longimanus n’attaque jamais sans crier gare. Il est ainsi à la fois extrêmement prudent, bien que curieux, et tout à fait prévisible, ce qui explique sans doute malgré le nombre impressionnant d’incidents impliquant ce requin, la quasi absence d’accident sérieux au cours des dernières années.

Il existe aujourd’hui plusieurs endroits en mer rouge côté égyptien ou les plongeurs peuvent observer très facilement le longimanus: il s’agit des récifs d’Elphinstone, des Brothers, mais aussi des récifs du sud du côté de St John jusqu’au Soudan. Apparemment on peut également le voir assez facilement dans le Pacifique à Hawaï notamment, à Kona coast, puisque pas mal de bonnes prises qui traînent sur la toile ont été filmées là-bas. En Egypte, il semble que les longimanus apparaissent à Elphinstone autour de Septembre et qu’on puisse en observer jusqu’en Mai dans le sud. Les longimanus d’Elphinstone sont-ils habitués à la présence de l’homme. Je pense que oui. Leur territoire bien que vaste doit reconduire les mêmes spécimens sur les mêmes lieux. Comme ceux des Brothers, ils recherchent la présence des bateaux. J’ai d’ailleurs vu certains bateaux jeter de la nourriture par-dessus bord pour les attirer. Que dis-je, j’ai même vu des vidéastes qui utilisaient des poulets dont ils nourrissaient les squales pour obtenir de meilleures prises. Ainsi appâtés, les longimanus nageaient de façon rapide et saccadée parmi les plongeurs qu’ils chargeaient de temps à autre. Imaginez le danger pour un plongeur non averti qui viendrait à plonger dans les minutes qui suivent avec le même requin. A ce jour, il n’y a pas encore eu d’accident ni à Elphinstone, ni aux Brothers. Pas sur un plongeur en tout cas. Mais je me suis laissé dire qu’un snorkeler en revanche avait été attaqué. Peu importe, tout porte à croire que cela arrivera forcément un de ces jours à un plongeur et que ça ne prouvera rien. Pourtant je reste persuadé que les longimanus d’Elphinstone se sont habitués à l’homme, qu’ils vont sans doute se mettre à progressivement ignorer. Ce sont les bateaux qui les intéressent.

Les longimanus qui n’ont encore jamais rencontré l’homme en revanche conserveront ce naturel inquisiteur, cet instinct du large, cette envie de défier l’autre, qui sont la marque de fabrique de cette espèce.

Le longimanus est aujourd’hui particulièrement victime de la surpêche, et ce pour deux raisons : la taille de ses nageoires tout d’abord qui en fait une espèce fort prisée des trafiquants d’ailerons, mais aussi son comportement qui lui faisant suivre les bateaux, les cétacés et les bancs de pélagiques (les trois allant souvent de concert) le rend particulièrement vulnérable aux prises accidentelles (bycatch).

Autrefois parmi les requins les plus abondants, du fait de l’étendue de son habitat , le longimanus, victime d’interminables lignes garnies d’appât, comme de filets dérivants, est aujourd’hui l’un des requins les plus menacés, du fait de ce même habitat. Les temps changent.
Jadis hors de portée de l’homme, le longimanus est désormais hors de portée des lois qui pourraient le protéger et des autorités qui pourraient les faire respecter. Les deux spécimens que je pus filmer en très gros plan à Elphinstone étaient tous deux affublés d’un hameçon, l’un à la bouche, l’autre à une nageoire. Sans doute un souvenir du Soudan. Le longimanus fait partie de la liste rouge des espèces menacés de l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), au même titre que l’ours polaire.

17/11/2006

Comment les requins ont-ils attaqué les marins de l’USS Indianapolis ?

‘When night came, things would bump against you in the dark or brush against your leg and you would wonder what it was. But honestly, in the entire 110 hours I was in the water I did not see a man attacked by a shark. However, the destroyers that picked up the bodies afterwards found a large number of those bodies. In the report, I read 56 bodies were mutilated, Maybe the sharks were satisfied with the dead. They didn't have to bite the living. »

Lewis L. Haynes, survivor


S’il est une histoire mythique parmi toutes celles qui concernent les requins, c’est celle du naufrage du croiseur américain USS Indianapolis en 1945. Mythique est le terme, puisqu’il s’agit d’une histoire qui a fait l’objet de nombreux récits, le plus célèbre restant sans doute celui qu’en fait Quint, le vieux chasseur de requin des Dents de la Mer, sorte d’Achab du siècle passé. D’après ce dernier, les requins auraient harcelé un à un et sans relâche les marins de l’Indianapolis pendant plusieurs jours, tuant celui-ci, arrachant une jambe à cet autre, le tout au milieu d’une infâme curée que seule l’arrivée bien tardive des secours fit cesser. Quint attribue d’ailleurs toutes les morts postérieures au naufrage aux requins. L’histoire se teinte d’un second niveau de lecture qui la rend encore plus mythique quand on sait que l’USS Indianapolis était sur le chemin du retour après avoir livré la bombe dévastatrice (à plus d’un titre) qui devait tomber quelques jours plus tard sur Hiroshima. La Nature faisait payer de la plus horrible des manières à une poignée d’hommes l’acte d’hybris destructeur de tout un peuple. Le décor était planté.

Les récits de survivants, bien que souvent très discordants entre eux, tracent tout de même les contours d’une histoire qui en bien des points diffère de celle que nous raconte Quint.

Tout d’abord et contrairement à ce qu’on pourrait croire, la première attaque de requin ne survint qu’après un temps d’immersion somme toute fort long. Au moins 14 heures, sans doute plus.
Le naufrage eut lieu le dimanche soir aux alentours de minuit et la première attaque que rapporte un témoin aurait eu lieu le lendemain dans la journée. Pour d’autres rescapés, cela ne commença que ponctuellement, au cours de la nuit suivant le naufrage. D’autres encore s’accordent à dire que les attaques ne commencèrent sérieusement que le mardi.
Il est à noter d’ailleurs qu’il n’était parfois pas possible aux témoins de distinguer clairement si les requins attaquaient un mort ou un vivant. En effet, les requins n’étaient, et de loin, pas la principale cause de tracas parmi les naufragés. Le soleil, le manque d’eau et l’hypothermie faisaient leur travail, quand bien même l’eau était chaude. Probablement que nombre de cas perçus par certains comme des attaques impliquaient des requins qui attaquaient un cadavre flottant en surface.
Une seconde raison qui explique les contradictions entre les témoignages tient à l’éparpillement des naufragés. Environ 900 hommes qui tombent à l’eau ne restent pas, pendant plusieurs jours, parfaitement groupés ensemble. Au contraire, ils s’éparpillent, car les courants ne sont pas uniformes. Ce qu’ont vécu certains groupes n’est pas forcément transposable à ce qu’ont vécu d’autres.

Il est à souligner que les naufragés avaient eu la bonne idée de se rassembler. Ceci eut probablement pour effet d’intimider les requins dans un premier, voire même dans un second temps, puisque quand les requins s’attaquèrent directement à un groupe de marins, ils s’en prirent d’abord à des individus situés à sa périphérie. En revanche, puisqu’une bonne idée en entraîne toujours une mauvaise (le monde étant symétrique), ceux-ci ne purent s’empêcher, suivant les consignes que prodiguaient l’US Navy à l’époque, de battre l’eau de la main pour faire fuir les premiers squales. Erreur. Ceci eut sans doute pour effet d’en attirer d’autres.

A ces battements intempestifs vint s’ajouter le vomi des marins. Un croiseur d’une telle taille qui coule, les cuves pleines, libère une quantité de mazout invraisemblable. Les naufragés qui se débattaient dans cette mélasse et la respiraient en firent les frais. Avalée, elle provoquait un rejet net. Mais la bouffe expulsée pour certains animaux à nageoires, c’est de la bouffe d’occasion. Les petits poisons attirent les moyens, et ces derniers les plus gros. Alors forcément ça aimante les requins.

Apparemment, mais, là encore, les témoignages diffèrent, les attaques, au cours des trois premiers jours, ne furent pas régulières. Selon l’heure du jour, et surtout de la nuit, leur nombre amplifiait. Il semble qu’elles s’intensifiaient en fin de journée et la nuit pour ralentir, voire s’arrêter le jour. En tout cas, jusqu’au troisième jour. Ce comportement semble bien correspondre à celui des deux seules espèces clairement identifiées : le requin tigre et le requin longimanus. Il n’est à ce propos pas à exclure qu’au moins une autre espèce ait pu être présente, qu’il s’agisse du requins soyeux (silkies) ou de l’albimarginatus (silvertips). Le requin tigre, que l’on sait volontiers charognard, fut certainement de ceux qui se nourrirent des cadavres de noyés.

L’idée de cet article n’est pas de minimiser l’enfer qu’ont vécu les marins de l’Indianapolis, mais plutôt de le présenter sous un jour différent -peut-être pire- de celui qu’on connaît habituellement . Trois conclusions s’imposent à la lecture des témoignages existants.

La première est les requins ne se précipitèrent pas agressivement et sans raison sur les marins pour les décimer méthodiquement jusqu’à l’arrivée des secours. Les requins étaient stimulés par des odeurs, par une probable importante présence d’autres poissons, par des vibrations, par des cadavres flottants. Néanmoins, il fallut quand même attendre au moins 14h avant la première attaque et encore, à partir de là, n’attaquèrent-ils pas continuellement. Le requin (même quand il est représenté par deux de ses espèces dites les plus dangereuses) est donc un prédateur bien plus prudent et moins immédiatement dangereux que ses homologues terrestres.

La deuxième conclusion est que l’on surestime peut-être l’importance des requins dans la souffrance des hommes de l’USS Indianapolis. Les témoignages réalistes conduisent à penser que sur les 600 marins environ qui périrent après le naufrage, la mort d’entre 50 et 80 est directement imputable aux requins. Nombreux sont d’ailleurs les témoignages qui ne font qu’effleurer le sujet des attaques. Les hallucinations qui faisaient apercevoir à certains la silhouette de l’épave sous leurs pieds ou une île déserte au loin, les brûlures du soleil, la soif, le froid, la mort des uns et des autres par noyade quand ils avaient le malheur de s’endormir, furent des souffrances au moins aussi pénibles que celles que leur occasionnèrent les requins.

Mais la peur la plus atroce qui habita les rescapés, certains le soulignent, fut celle d’être abandonné. La peur de mourir perdu en mer ; la peur que personne ne vienne vous chercher. Ils soulignent le fait que dans de telles conditions, le vrai courage est de choisir de vivre ou d’essayer. Les requins ne sont qu’une épreuve à supporter parmi toutes celles qui composent ce calvaire.

La troisième conclusion, qui va d’ailleurs dans le même sens que la précédente, est que les requins ont été des boucs émissaires, parmi d’autres, qui ont permis de masquer le fait que l’US Navy ait oublié ses marins pendant quatre jours.

D’ailleurs, je me dis parfois qu’il y a peut être eu des marins de l’USS Indianapolis qui, bien qu’ayant survécu, n’ont pas été retrouvés, qui ont aperçu les secours, qui les ont vus partir, que les requins n’ont même pas daigné attaquer et qui sont morts de froid et de désespoir au milieu d’une mer chaude. Abandonnés.
Ceux-là ont peut-être connu le pire du pire.

03/11/2006

Les requins sont-ils parfois pris de frénésie ?

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Un rassemblement beaucoup moins désorganisé qu'il n'y paraît. (Walker's Cay, Bahamas, Mars 2002)




On entend souvent parler de comportement frénétiques à propos des requins. Les anglo-saxons utilisent d’ailleurs le terme de « shark frenzy » pour désigner un rassemblement anarchique d’une ou plusieurs espèces, que ce soit autour d’une carcasse de baleines, d’un banc de calmars ou de toute autre source de nourriture abondante et facile. Les requins entreraient alors dans un état d’excitation frôlant la transe, sous l’effet d’une profusion de nourriture et d’odeurs diffuses. Des humains auraient d’ailleurs fait les frais d’un tel comportement lors de naufrages restés tristement célèbre dans les annales, comme celui de l’Indianapolis à la fin de la seconde guerre mondiale (que j’analyserai dans un prochain article). On pensait même, jusqu’à une époque pas si lointaine, que les squales pouvaient aller jusqu’à s’entre dévorer dans de telles situations. L’observation de ce comportement a largement contribué à construire la réputation de tueur imbécile et aveugle qui colle encore trop souvent à la peau rugueuse des requins.

Les requins, stimulés et en groupe, adoptent-ils cependant dans de telles occasions un comportement véritablement frénétique? Pas plus, voire moins, qu’un large groupe d’humains à l’occasion d’un cocktail. La peur de manquer génère souvent le désordre. Les mangeurs de petits fours en sont la preuve. C’est ce que je m’en vais tenter de vous démontrer.

Il m’a été donné d’assister au moins trois fois à de telles situations, dites de frénésie. Les deux premières artificiellement stimulées, notamment lors d’un « shark feeding »aux Bahamas, la troisième naturelle, lors du Sardine Run en Afrique du Sud .

Le « shark feeding » auquel il m’a été donné d’assister à Walker’s Cay (qui d’après ce qu’on m’a dit récemment ne serait plus pratiqué en cet endroit) et qu’on nommait « Shark Rodeo » (tout un programme !), n’avait rien de tout ce que cette sémantique peut laisser imaginer. Ce qui m’avait frappé alors, c’était le caractère discipliné des squales. Une ou deux fois par semaine, les propriétaires du centre de plongée remplissaient une poubelle de restes de poissons qu’ils mettaient au congélateur, un crochet métallique placé au centre. Une fois sur le site du feeding, on attachait une corde au crochet et on descendait le contenu de la poubelle ou « chumsicle » dans l’eau, tout en le maintenant à peu près stationnaire au moyen d’une amarre posée au fond. L’opération attirait environ une soixantaine de requins ainsi que d’autres poissons de récifs (mérous, fusiliers). Il s’agissait essentiellement de requins des caraïbes, de requins de récifs à pointes noires et de requins nourrices. Il est d’ailleurs à noter que ce sont quelques gros requins nourrices qui dominaient le groupe. On m’a dit que ce shark feeding avait, dans le passé, attiré jusqu’à 150 requins et que les espèces représentées avaient inclues, épisodiquement, des requins bouledogues, des requins tigres et même parfois un grand requin marteau. Les requins tournaient en rond ou plutôt en une spirale ascendante, prenaient une bouchée de poissons en voie de décongélation leur tour venu, puis repartaient faire la queue. Tout cela paraissait très organisé et rappelait un carrousel. Il ne manquait que la musique.

Il n’y eut qu’un seul moment de légère agitation, à la fin quand la boule d’appât devenue trop petite se détacha du crochet, entraînant trois ou quatre requins qui se la disputaient dans une brève course poursuite. Quelques instants plus tard, ces quelques « agités » se remirent à tourner bien sagement au fond. On était loin de la frénésie qu’on m’avait décrite. Je mis cela sur le compte de l‘habitude. Rompus à cette exercice bi-hebdomadaire, les requins s’étaient progressivement disciplinés. La routine quoi ! Artificiellement stimulée et régulièrement répétée, la frénésie s’était estompée, me disais-je. Nous avions donc plutôt affaire à un embouteillage bien géré qu’à un dangereux chaos.

En allait-il de même dans la Nature, dans une situation par définition inédite. J’obtins la réponse à cette question lors du Sardine Run 2005 où j’assistais par deux fois à ce qui, vu de la surface, pouvait s’apparenter à une mêlée désorganisée. Ce n’est que la deuxième fois, la visibilité autorisant une mise à l’eau sans danger, que je pus voir de quoi il en retournait vraiment.

Comme souvent lors du Sardine Run, un groupe de dauphins communs avait réussi à isoler et à bloquer contre la surface une poche de sardine. Les anglo-saxons nomment cela une « baitball » ou boule d’appât. Des requins cuivres et des requins sombres se firent rapidement de plus en plus nombreux, leur queue fouettant la surface avec ce qui aurait pu s’apparenter à de la rage.
Vues de sous l’eau les choses m’apparurent sous un tout autre jour. Certes les requins se déplaçaient plus vite qu’aux Bahamas et la présence de dauphins ainsi que d’une nuée d’oiseaux de mer conférait à la scène une atmosphère de folie, mais à y regarder de plus près il me semblait reconnaître une discipline… deviner une organisation. Je descendis en apnée de quelques mètres (la visibilité n’étant que de sept ou huit) pour m’apercevoir que les requins semblaient tourner en rond sous la boule de sardines, pour remonter chacun à leur tour en spirale. Comme aux Bahamas. Arrivés en haut il traversaient gueule ouverte la masse compacte de sardines puis redescendaient vers le fond pour reprendre leur tour.

Peu à peu, la présence de gros requins sombres (environ 3m50) sembla décourager les requins cuivres et les dauphins de s’approcher de trop près, mais la discipline sembla rester la même entre requins sombres. Le seul moment de relative désorganisation ne survint, là encore, qu’à la toute fin, quand les derniers requins se disputèrent les restes du festin. Et encore, je ne puis l’affirmer avec certitude, la prudence (et le début d’inondation de mon caisson) m’ayant fait regagner le zodiac. La Nature ne changeait pas les choses, tout au plus leur vitesse d’exécution, sardines vivantes et courant obligent.

D’où vient, du coup, ce mythe de la frénésie : de perceptions partielles sans doute, renforcées par quelques observations mal interprétées. Vu de la surface, on n’assiste bien souvent qu’à un festival d’éclaboussures qui semble désordonné, sans percevoir ce qui se joue vraiment en dessous. De surcroît, dans certains cas, comme la prédation sur une baleine morte, le requin, alors qu’il mord, semble pris de soubresauts qui agitent l’ensemble de son corps comme des spasmes incontrôlés. Il paraît « possédé ». Quand on connaît la position de la mâchoire inférieure de la plupart des requins et la nature de leur dentition, on comprend qu’il n’en est rien. Le requin est obligé de cisailler les morceaux de chair de cette façon, ce qui explique les mouvements de sa tête qui se répercutent sur l’ensemble du corps. Les dents du requins ne coupent pas, elles déchirent.

Un autre comportement explique également ce mythe de la frénésie. Lors des premières observations sous-marines de « frénésie », notamment celles filmées par Cousteau lors de son expédition sur les requins, les plongeurs, qui avaient méticuleusement appâté sur le site de tournage pour s’assurer la présence abondante de requins, descendaient ensuite parmi ces derniers dans des cages métalliques, des sacs remplis de poissons à la main. Le comportement qu’ils observaient souvent était celui de requins qui se mettaient « frénétiquement » à attaquer la cage et à en mordre les barreaux. Ils en conclurent que les requins, dans un état second, en venaient à faire et à mordre n’importe quoi.

Il y a une part de vérité là dedans, à ceci près que sont les plongeurs, acteurs qui se croyaient observateurs, qui en étaient la cause. Le requin grâce à ses ampoules de Lorenzini capte à courte distance le moindre champ électrique. Or les barreaux d’une cage constituent une concentration de métal qui n’existe pas à l’état naturel. Un surstimulus. Pas étonnant donc que confronté à une telle concentration, le requin disjoncte et morde la cage. A fortiori quand de celle-ci s’échappe une forte odeur de poissons morts. Les requins associaient donc naturellement et étroitement (à juste titre d’ailleurs) la nourriture, la cage et les plongeurs, identifiant probablement ces deux derniers comme des concurrents directs. Ceci explique leur agressivité. Enfermez donc deux personnes en train de manger une bonne entrecôte frites assis dans une cage en chocolat, placez la cage au milieu d’un groupe de personnes affamés et observez ce qui passera !
Un point intéressant à noter, les requins, que l’on voit sur certains films et clichés attaquer lors de « shark feeding » les plongeurs vêtus de côtes de maille qui les nourrissent, le font pour les mêmes raisons que ceux qui attaquent les cages. Ceci ne démontre en rien leur agressivité. Deux causes évidentes : le plongeur tient la nourriture en main et il vêtu d’une armure de métal. Cela même qui est censé le protéger -son armure- est en fait la cause partielle de l’attaque. Pour le reste, il est dans le même cas qu’un pêcheur sous-marin qui tient un poisson à la main en présence de requin : un concurrent à écarter.

Je voudrais terminer cet article un peu long par une note pratique : dans quelle condition peut-on s’approcher d’un groupe de requins en situation de soi-disant frénésie ?

Il semble tout d’abord essentiel de ne pas être la cause de cette frénésie, tout du moins dans l’esprit des requins. Ainsi, lors du Shark Rodeo bahaméen dont je parlais au début de cet article, les plongeurs prenaient d’abord place en arc-de-cercle au fond et ce n’est que plusieurs minutes après qu’ils aient quitté le bateau, que l’on faisait descendre la boule d’appât. Les requins n’associaient donc pas les plongeurs avec la nourriture, parce que ceux-ci ne les nourrissaient pas directement et qu’ils n’entraient pas dans l’eau au même moment que l’appât. Tout au plus les requins devaient-ils les prendre pour une autre espèce, également attirée par ce repas facile. Ce qui nous amène au deuxième point.
Il ne faut pas non plus que le requin prenne le plongeur pour un concurrent qui risque de lui disputer son repas. Pour cela, il est impératif de ne pas se trouver à proximité de la source de nourriture, ou même à l’intérieur de celle-ci dans le cas du Sardine Run. Il vaut également mieux éviter de se trouver dans le champ odoriférant que colporte le courant. Pour cela, il faut à tout prix éviter de se trouver à contre-courant de l'appât et se méfier particulièrement si le courant n'est pas franc. C’est en cela que le Shark Rodeo de Walker’s cay était bien pensé, donc très sûr. Les restes de poissons, étant congelés, ne s’éparpillaient pas dans l’eau autour des plongeurs/spectateurs. Pas de confusion possible pour les requins.
Dernière chose : éviter si possible de se trouver dans l’eau une fois la source de nourriture disparue. Les senteurs flottent et se diffusent dans l’eau sans qu’il n’y ait plus vraiment de source clairement identifiable. Et surtout, il n’y a plus rien à manger ! Il vaut mieux, si c’est possible, sortir de l’eau à ce moment là, où s'abstenir de s’agiter en surface.

Les requins ne sont pas nerveux, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peuvent pas s’énerver. Et quand on s’énerve, c’est bien connu, on fait des bêtises !

07/08/2006

Des requins bouledogue en Angleterre ?

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Même à travers l'eau pourtant cristalline de Walker's Cay et à trois mètres au dessus de la surface, il n'est pas facile de remarquer le museau arrondi de chacun de ces requins bouledogues.

Un requin bouledogue aurait été aperçu au cours de l’été 2005 par un surfeur à Sennen Cove, au sud de l’Angleterre. Ce dernier, familier des requins d’après le reportage de la BBC, aurait distinctement reconnu, assis sur sa planche, la silhouette caractéristique d’un requin bouledogue au corps sombre et massif et au museau arrondi. Si cette observation venait à être confirmée, il s’agirait de la première observation d’un requin de cette espèce en Angleterre.

Certes la température de l’eau, autour de 19°c maximum au mois d’août sur la côte du Cornwall, rend la chose envisageable. On a bien capturé un bouledogue au nord de l’île sud de la Nouvelle Zélande récemment. Or la température de l’eau en été peut y atteindre 20°c maximum. 19°c constitue donc sans doute la température minimale autour de laquelle on trouve encore le bouledogue.

Néanmoins, la chose semble peu probable. On voit mal pourquoi un bouledogue, espèce relativement sédentaire pour un grand requin, aurait soudainement remonté les côtes africaines vers l’Europe. La réponse à la question se trouve probablement plutôt du côté du surfeur. Il paraît impossible, sauf éventuellement à un spécialiste dont le nombre au monde se compte sur les doigts de deux mains, d’identifier à coup sûr un requin bouledogue au ras de l’eau, comme peut l’être un surfeur, de surcroît à travers le clapotis. Le museau arrondi semble le détail de trop. La livrée sombre ne prouve rien, tout comme le côté massif. Il pouvait tout autant s’agir d’un petit requin pèlerin ou d’un requin taupe commun qui aurait suivi quelques proies en eau peu profonde, la première éventualité étant de loin la plus probable.

Curieuse coïncidence, cette observation intervient alors même qu’on n’a jamais autant parlé du bouledogue que depuis quatre ou cinq ans. On lui reproche tous les maux et on l’accable après coup de tous les crimes non résolus. Les surfeurs en on fait leur principale hantise.

A cela viennent se rajouter deux autres raisons qui expliquent cette hallucination. La première est à chercher autour de la thématique du réchauffement climatique. Il est vrai que les côtes anglaises ont vu leur température monter de plus de 1,5° au cours des dernières années. Les anglais s’attendent donc qu’à tout moment de nouvelles espèces fassent leur apparition. Ou l’espèrent-ils ? Il est vrai que le réchauffement devrait provoquer des changements. Ce qui nous conduit à la dernière raison. Il ne se passe pas grand-chose sur les côtes anglaises. On aimerait bien que ça change. Il n’y a pas grand-chose à voir entre la roussette et le requin pèlerin… quand on a beaucoup de chance. Les surfeurs anglais qui se caillent sur leur planche au milieu de la grisaille et des vagues intermittentes ont le temps d’y penser. C’est alors qu’ils s’inventent des requins tropicaux pour tromper la pluie.

27/04/2006

Les requins nous prennent-ils vraiment pour des phoques ?

Pour qui ce jeune reporter de la télévision suisse prenait-il ce requin blanc? Pour un animal de cirque sans doute.
Geyser Rock (Afrique du Sud), juillet 2005


Parmi les idées reçues que l’on entend souvent depuis quelques années revient souvent celle selon laquelle les requins, dotés d’une mauvaise vue, nous confondraient, selon les cas avec des phoques ou avec des tortues, ce qui expliquerait bon nombre d’attaques.

Vu du dessous, un plongeur avec ses palmes et sa combinaison pourrait être mépris pour un phoque et un surfer et sa planche pour une tortue. L’espèce de requin à laquelle on fait référence n’est le plus souvent pas spécifiée, mais on peut supposer que les principaux concernés sont le requin blanc et le requin tigre, grands amateurs de phoques et de tortues

Il y a certainement là encore une forme d’anthropomorphisme. En effet, ne surestime t-on pas l’importance de la vue chez le requin en partant du principe qu’elle pourrait être le facteur déclenchant d’une attaque ? Joue t-elle vraiment un rôle prépondérant pour le requin tigre qui attaque parfois de nuit. C’est peut-être surtout de notre point de vue, en se fondant sur le rôle qu’elle joue chez nous, que la vision oculaire nous paraît aussi importante.

Deux éléments portent pourtant à croire que le requin tigre n’attaque pas le surfer parce qu’il se méprend. Tout d’abord, le fait que le requin tigre est probablement parmi les requins celui dont le menu est le plus varié. Le contenu de son estomac est d’ailleurs souvent assimilé à celui d’un catalogue d’objets insolites. N’y a t-on pas déjà retrouvé une plaque d’immatriculation qu’on ne voit pas bien avec quel animal marin il aurait pu confondre. La seconde raison tient au fait que le requin tigre est un requin qui « goûte » ses proies en les mordant. Là où d’autre se contentent de se frotter à elle ou de les cogner pour « voir » de quoi il s’agit, le requin tigre analyse la texture de l’objet avec sa bouche. Ce que nous percevons comme une attaque n’est ainsi bien souvent du point de vue du requin qu’une recherche d’identité.

De ces raisons, on peut déduire que le requin tigre est un prédateur opportuniste et curieux, ouvert à de nouvelles saveurs qu’il juge sur pièce. Deux bonnes raisons de se méfier du requin tigre qui n’ont rien à voir avec le fait de ressembler à une tortue. Surfer rassurez-vous, votre nouvelle combinaison imitation carapace ne vous mettra donc pas plus en danger qu’une autre ! En revanche, n’oublions pas que le surf est probablement le sport aquatique dont les pratiquants passent le plus de temps dans l’eau. Ce sont peut-être ceux qui ont le plus de chance, même si ces dernières restent infimes, de rencontrer ce chasseur opportuniste et parfois avide de nouveauté qu’est le requin tigre.

Le cas du requin blanc est un peu différent. On sait que la vue joue un rôle plus important chez ce dernier que chez le tigre. Il est souvent observé pointant le museau au-dessus de la surface, comme pour faire un tour d’horizon. Son grand œil noir est légendaire et d’ailleurs, il n’attaque pas, à ma connaissance de nuit. Ceci ne veut pas forcément dire que la vue constitue le seul sens jouant un rôle important lorsqu’il chasse. En effet, quand on connaît l’acuité de ses autres sens on peut supposer que ces derniers se combinent pour donner une image assez précise de l’animal attaqué. La forme n’est d’ailleurs sans doute pas la seule donnée. Les mouvements dans l’eau, la vitesse de déplacement sont sûrement aussi, « voire » plus important. Son cerveau, tout entier consacré à percevoir le plus précisément possible l’image présente, ne prend certainement pas les vessies pour des lanternes. On ne survit pas 180 millions d’années en commettant de pareilles bourdes.

Certes il arrive au grand requin blanc de commettre des erreurs, mais elle ne sont pas si grossières que cela. On arrive à le faire sauter en dehors de l’eau en traînant un mannequin de polystyrène en forme de jeune otarie derrière un bateau, mais la ressemblance est, dans ce cas, beaucoup plus évidente et la méprise excusable. La fausse otarie, tractée par le bateau, se déplace de surcroît à une vitesse qui rend le subterfuge crédible. Il n’en va pas de même pour un plongeur ou pour un baigneur dont la silhouette, la vitesse et les mouvements diffèrent de ceux de l’otarie.

Mais alors pourquoi le requin blanc attaque-t-il, si l’homme ne fait pas partie de son menu et qu’il ne se méprend pas ? Plusieurs explications me viennent à l’esprit. Tout d’abord, tout comme le requin tigre, il arrive au requin blanc de « goûter » avec la bouche un objet inconnu. Après avoir longtemps tourné, il tâte généralement l’appât ? Vue la taille et la dentition du grand blanc, cette séance de dégustation est généralement assimilée à une attaque. C’est ce qui s’est produit au large du Chili, il y a une dizaine d’années. Un grand blanc, aperçu en surface juste avant l’attaque, s’est emparé de la jambe d’une jeune plongeuse qui se détendait en surface. Or d’ordinaire, le grand blanc chasse toujours à l’affût, maraudant en profondeur avant de déclencher une attaque soudaine. Pour le requin, il ne s’agissait donc certainement pas d’une attaque, plutôt d’une exploration, aussi terribles que puissent être les conséquences eût égard à la taille de l’animal.

Deux autres facteurs peuvent également constituer des pistes d’explications. Il arrive peut-être au grand blanc de s’entraîner à la chasse, comme les jeunes félins le font parfois. On le constate aux pingouins morts que l’on retrouve parfois en surface dans les eaux qui entourent Dyer Island en Afrique du Sud. Les grands blancs tuent les pingouins, mais ne les consomment pas. Or il ne paraît pas concevable qu’ils les prennent pour des otaries, vue leur taille.
Il est intéressant de noter à cet égard que les grands blancs que l’on trouve autour de Dyer Island dépassent rarement les 4m50, grand maximum, alors même qu’on a aperçu des individus dépassant les 6m dans les environs. L’explication la plus plausible est que le menu du requin blanc varie au cours de sa vie. Vient un temps où en grandissant, il abandonne sans doute le régime otarie entamé à l’adolescence pour s’ouvrir à de nouvelles sources de nourritures. Ces changements de régimes nécessitent certainement des périodes d’apprentissage qui expliquent peut-être certains comportements atypiques, tout à fait exceptionnels.

En effet, les attaques dont nous parlons ici sont rarissimes comparées au nombre d’occasions probables où un requin blanc détecte la présence d’un humain (sans que l’inverse ne soit vrai) et passe son chemin. La plupart des requins tigres et des grands blancs ne nous prennent donc certainement ni pour des phoques, ni pour des tortues, mais nous, dans notre immense majorité, pour qui les prenons-nous ?

22:40 Publié dans Requineries | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Animaux

22/03/2006

Chacun pour Nous



Walker's Cay, Bahamas, Mars 2002. Requins gris des caraïbes, requins à pointes noires et requins nourrices. La coïncidence était congelée et avait des écailles.

Quand les requins se déplacent en bandes, ils ne prennent jamais le bus ensemble. Quand ils sont tous là, c’est parfois juste parce que chacun d’eux allait au même endroit. Drôle de coïncidence. Et s’ils sont là, d’autres feraient mieux de ne pas y être. Chacun pour soi et tous pour un.

Un groupe de requins est une communauté d’individus agrégés. Quand on en voit pleins, c’est quelque fois un embouteillage. 800 requins marteaux, sur une autoroute magnétique à n’en plus finir, passent comme un coup de vent sur une nappe de plastique. Ils sont ensemble pour un instant et s’éloignent en se dépixellisant. L’un après l’autre.

23/02/2006

Sous l'eau



Requin marteau halicorne,
Big brother (Egypte), flanc Est,
le 7 Octobre 2003



Il y a des lions de mer, des requins léopards, des raies aigles et des requins tigres, y compris en Afrique. Il y a des raies électriques, des bancs de poissons disjoncteurs et des poissons lune. Il y a des danseuses espagnoles, des poissons chirurgiens, mais aucun requin stéthoscope. Il y a des requins marteaux et des poissons scies, mais il n’y a pas d’océan Bouatahoutique. Il y a des mines flottantes, des crevettes boxeuses, des limaces de mer, des huîtres perlières, des coraux à tête de cerveaux et aussi des chiens de mer. Avec tout ça, on pourrait faire un monde.

Il y a des poissons géographes, des poissons écureuils et même des poissons pierre. Pourtant, il n’y a pas de requin phoque, ni de phoque requin. Il y a bien des phoques léopards, mais personne ne sait où ils se sont rencontrés.

Il y a des chevaux de mer, des poissons ventouses, des requins zèbre, des poissons trompette, des sergents majors, des demoiselles et même des loups de mer.

Parfois, on a l’impression que le dessous de l’eau n’est qu’un reflet du dessus, alors que tout ce qu'il y a sous l'eau ne se reflète pas sur terre. Il nous manque des choses et des mots.

21/02/2006

Les requins ont peut être de l’humour

Cette époque a le défaut qu’il faille qu’on lui précise tout. Finis les décalages entre les mots et l’expression du visage. Finies les stupidités balancées avec un rictus d’huissier.

Aujourd’hui, il faut souligner ce que l’on ressent par des grimaces outrées, au cas où l’autre n’écouterait pas. Il faut jouer ses émotions au niveau de la voix, au cas où l’autre ne regarderait pas. Car les autres ne sont pas toujours bien là. On le croit, mais non. Ils sont le plus souvent déconnectés de leur environnement immédiat. Ils ont besoin qu’on leur montre qui l’on est. Aujourd’hui, il faut d’abord paraître.

C’est peut-être pour cela que le dauphin est un animal qui nous paraît tellement sympathique. En effet, il paraît toujours gai. Il sourit tout le temps. Il sourit quand il nage, il sourit quand il saute, il sourit quand il mange. Il sourit même quand il souffre et quand il meurt. Est-on bien sûr d’ailleurs qu’il sourit tout le temps ?

Non seulement il sourit, mais en plus il rit. D’un rire de dauphin, certes, mais d’un rire qui ressemble étrangement à celui de certains humains. Hin, hin, hin hin. Et s’il peut rire, c’est qu’il doit avoir de l’humour.

C’est certain, les dauphins doivent avoir de l’humour. Ne sont-ils pas d’ailleurs farceurs ? Toujours prêt à surprendre un nageur, à plonger d’un côté pour réapparaître à l’improviste de l’autre. On les dit facétieux.

Alors que le requin, c’est tout le contraire. S’il surprend un nageur, c’est évidemment pour l’attaquer, ça n’a rien de facétieux. D’ailleurs, si on a le malheur de lui prêter un sourire, c’est toujours un sourire sadique, dénué d’humour. D’ailleurs, il sourit, mais il ne rit pas.

Qu’en sait-on d’ailleurs ? Ces ailerons qui dépassent de l’eau n’ont pas l’air bien sérieux. En effet, pourquoi laisser dépasser son aileron au bord d’une plage et créer une panique parmi les baigneurs, si ce n’est pour déconner ? Pourquoi foncer sur un plongeur et dévier sa trajectoire au dernier moment si ce n’et pour provoquer l’hilarité.

Qui nous dit que les requins n’ont pas d’humour. Ce ne sont peut-être que des pince-sans-rire qui cachent bien leur jeu. Qui nous dit qu’ils ne sont pas pris d’un violent fou rire quand ils retournent au large, vers les profondeurs ? Si leur humour est incompris, c’est peut-être juste que leurs blagues, vieilles de 180 millions d’années, ne sont plus tout à fait de ce temps.

01:25 Publié dans Requineries | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : requin, dauphin, humour

15/02/2006

Le Grand Blanc, métaphore du serial killer



Comment parler des requins et des hommes sans parler de leur principal point commun, cette histoire qui les lie depuis trente ans, les Dents de la Mer. Un modèle d’anthropomorphisme.

Dans une société qui a expulsé toutes les menaces à sa périphérie, qui a rendu la violence abstraite, une bête féroce remonte des profondeurs pour se saisir de paisibles vacanciers. La peur a de nouveau un objet qu’on peut se représenter. Comble de l’ironie, l’Homme se sent menacé par un animal en voie de disparition.

En effet, il ressort qu’une Mort blanche, mécanique et froide peut à tout moment venir interrompre d’innocentes (quoique…la nana de la première scène sait de quoi je parle) baignades. Elle peut frapper n’importe où (au large comme au bord, en mer comme en eau douce), n’importe quand (de jour comme de nuit), n’importe qui (femmes, enfants et même animaux domestiques). Ca ne vous rappelle personne.

La plage est une métaphore de ces no man’s land urbains que constituent tous les lieux de transit. Une plage, c’est une société qui ne fait que passer et qui pourtant étale ses différences comme une serviette de bain. Le périmètre de la serviette reproduit celui des clôtures qui entourent ce pavillon de banlieue que l’on habite d’ordinaire. La famille d’à côté, dont les enfants empiètent sur notre territoire, ressemble étrangement à d’autres voisins, que nous côtoyons à longueur d’année, mais dont nous ne connaissons guère que le nom. Nos proches sont finalement des anonymes qui ne nous seront d’aucun secours en cas de danger. Nous sommes seuls au milieu de la foule, comme des proies sur un quai de gare. C’est connu, les populations en perpétuel transit sont les cibles privilégiées de tueurs aveugles et anonymes. Un guépard x ne tuera certes qu’une seule gazelle y, mais toutes les gazelles sont sa proie. Du coup, c’est le troupeau tout entier qui se sent nerveux.

La menace est permanente, omniprésente, parce que non circonscrite. N’étant nulle part, elle peut être partout. Le risque est certes faible, mais cette faible probabilité est compensée par la nature même du risque : être découpé puis dévoré vivant. Le prix à payer semble d’autant plus élevé que le risque ne l’est pas.

On remarquera que le coupable désigné correspond parfaitement au portrait robot du tueur idéal. Il s’agit d’un mâle de race blanche. Il est solitaire et ses mâchoires sont garnies de sept rangées de dents acérées. On l’appelle le Grand Blanc, ce qu’il est, mais seulement vu d’en dessous. Il hante le bleu de notre psyché et habite les profondeurs de notre inconscient. Son dos, contrairement à ce que son ventre pourrait laisser croire, est noir comme les abysses. Ses dents sont le souvenir enfoui d’un temps éloigné où notre peau courrait à tout moment le risque d’être déchirée. Elles sont la preuve d’une fragilité qui nous est essentielle, d’une menace qui sera toujours là, à portée de la main, comme un couteau de cuisine.

Ce requin blanc n’est-il finalement pas rassurant, comme tous ces tueurs en série dont le nombre augmente aujourd’hui moins que l’intérêt qu’on leur porte. Tant que nous aurons peur de lui, nous ne nous méfierons pas de nous-mêmes et il restera la seule victime d'un conte de fées pour adulte dont il n'est même pas le sujet.

Vus du dessus, même les requins blancs ne le sont plus.

14/02/2006

Qu'est-ce qu'une requinerie?

Le regard que nous portons sur les animaux en dit souvent plus long sur nous-mêmes que sur ces derniers. On appelle cela de l’anthropomorphisme. L’homme a tendance à voir le reflet de ses actions dans le comportement des animaux et à leur prêter des motivations qui ne sont que les siennes. Explication simpliste et grandes allégories éclairantes se côtoient au sein d’un immense bestiaire psychique que les requineries tentent modestement de venir enrichir.