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07/05/2007

Des requins renard à Small Brother

Plongée N°6 : Octobre 2006, Small Brother (Egypte)



A la plongée précédente déjà, un renard nous avait surpris au palier, fait rarissime. Le renard ne s'approche d'ordinaire pas de la surface sans raison. Il reste généralement assez profond dans la colonne d'eau.

A la plongée suivante, alors que nous commencions notre ascension en dérive sur le flanc Est, avant de rejoindre le platier, alors que nous nous trouvions à 20 m, nous aperçûmes un requin renard qui traînait au dessus du récif à 30m. Il semblait être en train de se faire nettoyer par ses habitants. Il passa devant nous, fit plusieurs aller et retour et resta en tout et pour tout près de 7mn en notre compagnie. D'ordinaire timide et furtif, le renard nous gratifia ce jour-là d'un vrai défilé de mode. Ma femme en fut quitte pour 12 mn de palier.

13/04/2007

Cicatrices



Et si les cicatrices anodines s'effaçaient plus facilement que certains taouages de carnaval. En souvenir de Robert Shaw et de Quint.

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02/04/2007

Le requin bouledogue aime les basses

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Ni avec les mains, ni avec les pieds.






Trevor Krull, depuis un an, expérimente sur Protea Banks un nouvel appareil qu’on appelle le « Shark Whisperer ». On n’est pas loin de l’appeler : « l’homme qui murmurait à l’oreille des requins ... bouledogues ».

Apparemment, le requin bouledogue ne serait pas facilement "attirable" avec le brouet odorant qu’on utilise d’ordinaire pour attirer les grands squales. Brouet + Thon. Je ne suis pas sûr d’ailleurs que, pour les requins, le brouet n’annonce le thon. L’un serait le signal de l’autre. Le vrai met serait toujours à suivre.

Toujours est-il que le requin bouledogue ne réagit pas seulement aux odeurs, mais surtout aux vibrations subaquatiques. A Protea Banks, ce n’est pas d’appâter qui attire les bouledogues, c’est quand un poisson se débat au bout de la ligne d’un pêcheur … un pêcheur sportif. Sportif. L’expression est aussi consternante que le personnage qu’elle décrit. Ce sont ces sportifs qui tirent à la carabine sur les requins qui s’emparent de « leurs » poissons. La pêche aux gros comme ils disent. Un vrai sport de gros. Un de ceux qui ne font pas perdre de poids.

Le « Shark Whisperer » est un petit appareil électrique qui produit des basses fréquences, de celles qui font venir les bouledogues. N’attaquent-ils pas quand l’eau est trouble et que les pieds des baigneurs battent la mesure ? Ils ne font que des coups bas.

Récemment, une équipe de scientifiques, dont je tairais le nom, faisait une expérience en Floride sur les tarpoons. Il leur fallu plusieurs semaines, sinon plus d’un mois, pour parvenir à capturer le premier tarpoon vivant, afin de le marquer. A chaque fois qu'il en attrapaient un, dans les premiers temps, les Bullsharks le divisaient immédiatement par deux.

Le requin bouledogue réagit d’abord aux vibrations. C’est pourquoi il vient aujourd’hui voir Trevor, son ami du temps où un seul plongeur visitait ces eaux. Il est séduit par les bonnes vibrations.
Le « Shark Whisperer » attire aujourd’hui les bouledogues de Protea, mais pour combien de temps. S’y habitueront t-ils, pour enfin le dédaigner?

S’il n’y a avait pas tant d’autres choses à faire, j’irai tout de suite voir là-bas, au sud, avant qu’il ne soit trop tard. Voir des amis que je ne reverrais pas de sitôt.


http://www.africanodyssea.co.za

16/02/2007

Gratuit

Un gratuit nommé "matin plus", qui stipule sur sa page de garde de ne pas le jeter sur la voie publique, humilité ultime, vient de publier un article hilarant intitulé "les dents de la mer en Floride" (??? ). D'après ce quotidien, le danger chez le requin ne viendrait pas forcément de la morsure, mais aussi de l'aileron "qui peut être aussi tranchant qu'une lame de rasoir". L'aileron de requin serait donc le symétrique du moteur de hors bord, les rotations en moins. Un cutter aquatique qui fendrait la surface,comme du beurre. C'est drôle, c'est frais, c'est gratuit. Nul doute, cette presse est vraiment indépendante.

26/01/2007

Johnny Lydon des Sex Pistols parle des requins



"Je ne vois pas de grande ruée visant à exterminer 70 millions de toasters"

18/01/2007

Vingt cinq contre un

C’est la cote assignée par les bookmakers anglais aux paris de ceux qui pensent qu’en 2007, avec le réchauffement climatique, on observera enfin un requin blanc sur les côtes britanniques. Le réchauffement de la planète entraîne un réchauffement des têtes. A moins que ce ne soit l’inverse.

11/01/2007

Un grand blanc qui en dit long

La blancheur est un signe : c’est l'approche de la mort, de la douleur, de la disparition. C’est la couleur de la réalité nue, de l’absence qui est toujours un brouillard qui s'étire vers le sud. Blanc cassé, mort vivant.

Certaines modalités de la perception visuelle génèrent d’autres perceptions, auditives, qui vont dans le même sens. La blancheur dans la voix invite à remplir le silence qu'elle nous livre.

Il y a des blancs qui en disent long, comme des requins de six mètres.

01/01/2007

Une bonne année et plein de requins

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Les mentalités changent.






Vous êtes de plus en plus nombreux à vous rendre régulièrement à la sharkuterie dont le contenu est variable ou plutôt fluctuant (une fluctuation concerne un liquide et le terme est donc clairement plus approprié à un site s‘intéressant aux requins).

Les choses ont un peu changé cette année. Un peu seulement car le futur prend toujours son temps. Pas de mesures de protection radicales, mais une conscience de plus en plus répandue de toutes les menaces qui planent sur nos amis les élasmobranches. Certains disent qu’il est plus facile de mobiliser autour du requin, qui attise nos peurs, que de certaines grenouilles anonymes, ignorées et pourtant menacées. Certes, mais les fantasmes qui génèrent cette mobilisation sont les mêmes que ceux qui causent la perte de cette espèce. Les pêcheurs au gros qui tentent de résoudre leurs problèmes de bites avec une longue canne à pêche qu’ils calent dans un étui pénien afin de pêcher un animal qu’ils n’oseraient pas affronter dans l’eau, comme les long-liners qui pour fournir le marché asiatique d’aphrodisiaques s’attaquent au même problème à beaucoup plus grande échelle, répondent finalement à la même demande. Qu’il soit capturé par des artisans ou des industriels, le requin est finalement toujours une prise accidentelle.

Et puis les grenouilles… vraiment…

La seule question qui se pose finalement aujourd’hui, leitmotiv de la conscience environnementale actuelle, est « comment ? », et non plus « Pourquoi ? ». Que faut-il faire ? C’est la question à laquelle tentera de s’atteler autant que possible la sharkuterie en 2007 avec toutefois une intuition pessimiste sous-jacente: si les requins s’en sortaient et pas nous. Ils étaient là avant, ne pourraient-ils être là après ?

L’année prochaine, c’est peut-être eux qui nous souhaiteront une bonne année. En même temps, ce n'est pas leur genre.

28/12/2006

La réputation du longimanus est-elle justifiée ?


Quand les requins aux longues mains s'approchent.


Il existe un classement officieux des requins dits les plus dangereux et, selon ce classement, le requin longimanus arrive bien souvent en quatrième position, loin derrière le blanc, juste derrière le bouledogue et le tigre. Si l’on rapporte ce classement aux modes de vie des espèces citées, on s’aperçoit que le longimanus est le seul parmi celles-ci à ne jamais s’approcher des côtes. C’est le seul requin du large. Que fait-il donc dans ce classement ? Les chances pour un homme de le rencontrer dans l’eau sont si faibles qu’on pourrait en venir à se demander s’il n’est pas d’autant plus dangereux qu’on ne le croise pas souvent. Et pourtant, en une fois comme lors du naufrage de l’Indianapolis, il a probablement fait plus de victimes que certaines espèces en cent ans (cf.article précédent).

Profilé comme un avion, le longimanus, n’était-ce pour sa couleur et la pointe de ses nageoires, est la quintessence même du requin, son eidos. C’est l’idée même qu’on s’en fait, froide et abstraite comme la mort. Le longimanus est un requin à part, un véritable chien de mer, un prédateur, un rapace qui plane dans le bleu. Pour lui, toute nouveauté prend la forme et le corps d’une opportunité. Une chose à essayer. Son sourire est ambiguë, donc sadique, comme une arme blanche, qui peut servir à tout et à n’importe quoi.

Pendant longtemps, le longimanus fut le requin qui hanta les cauchemards de tous les marins du globe. Ayant pour habitude de suivre les bancs de cétacés, il n’est pas étonnant qu’il se soit également mis à suivre les bateaux, à l’affût de toute nourriture qui pourrait être jetée par dessus de bord. Inutile de souligner que du coup, il incarna aux yeux des marins cette menace lugubre qui planait au-dessus de tout homme qui aurait le malheur de tomber à l’eau. On avait l’habitude de l’appeler alors aileron blanc du large. Les baleiniers eurent fréquemment l’occasion de goûter sa compagnie. Une baleine morte attire en effet ce requin dans les zones où il est présent. Et comme bien souvent il constitue l’espèce dominante parmi les requins du large, il est probable que le longimanus se soit souvent montré aux yeux des marins comme un des meneurs de l’orgie marine que provoque immanquablement un cétacé mort. Cousteau rapporte une telle situation dans Le Monde du Silence où d’ailleurs il s’acharne avec une sauvagerie incompréhensible sur plusieurs membres de cette espèce n’ayant commis pour seule faute que de suivre leur odorat et leur instinct. Autre temps…

Mais il existe tout de même d’autres raisons qui font que le longimanus tient une place à part parmi tous les requins. Alors que la plupart des requins nous fuient ou nous ignorent, le longimanus nous jauge en permanence. Sa réputation n’est pas totalement usurpée. J’en fis l’expérience à Elphinstone. Après trente minutes de plongée à la pointe sud du récif passées entre 5 et 10m de profondeur sous les bateaux en compagnie des longimanus, ce ne fut que lorsque le nombre de plongeur se réduisit à trois que ceux-ci s’approchèrent vraiment. Le nombre de plongeur changeait le regard qu’ils portaient sur chacun de nous. C’est en nombre seulement que les plongeurs les intimidaient. Alors que nous attendions non loin de l’échelle de plongée, deux longimanus vinrent m’inspecter de fort près. Il semblerait que la lumière de mes deux phares ainsi que mon objectif grand angle aient particulièrement attirés leur attention. Au moment même où je mettais mes feux en marche, le requin dévia sa trajectoire, me fit face, vint coller son museau à un centimètre de l’objectif, sans toutefois le toucher et poursuivit son chemin dans le bleu.

Quelques secondes plus tard, un autre longimanus vint me défier à nouveau de face. C’est alors qu’avec mes deux camarades, nous nous aperçûmes que les requins qui n’étaient que deux ou trois à tourner autour de nous jusque-là, étaient désormais au nombre de six ou sept et s’approchaient de plus en plus près. Impossible de les tenir tous à l’œil. Nous décidâmes d’un commun accord de sortir de l’eau. Certains disent que le longimanus attaque toujours de dos, c’est pourquoi il ne faut jamais se méfier de celui que l’on voit, mais toujours de celui qu’on ne voit pas.
Même expérience une autre fois aux Brothers, presqu’à la tombée de la nuit où je me retrouvais entouré de longimanus et de requins soyeux. Le nombre de plongeur immergés réduisant et la lumière baissant, les requins devenaient de plus en plus curieux. Ceux qui sont restés plus longtemps dans l’eau disent que l’étape suivante consiste en une variante ou le requin vient heurter le plongeur et mordre ses palmes. Il est alors vivement conseillé de sortir de l’eau. On rapporte également moults incidents ou des snorkeler isolés ont été « ennuyés » par le longimanus. Un classique également : les snorkelers qui se font déposer au milieu d’un banc de dauphin. Les dauphins s’en vont et vous connaissez la suite. Quoiqu’il en soit il apparaît que le longimanus n’attaque jamais sans crier gare. Il est ainsi à la fois extrêmement prudent, bien que curieux, et tout à fait prévisible, ce qui explique sans doute malgré le nombre impressionnant d’incidents impliquant ce requin, la quasi absence d’accident sérieux au cours des dernières années.

Il existe aujourd’hui plusieurs endroits en mer rouge côté égyptien ou les plongeurs peuvent observer très facilement le longimanus: il s’agit des récifs d’Elphinstone, des Brothers, mais aussi des récifs du sud du côté de St John jusqu’au Soudan. Apparemment on peut également le voir assez facilement dans le Pacifique à Hawaï notamment, à Kona coast, puisque pas mal de bonnes prises qui traînent sur la toile ont été filmées là-bas. En Egypte, il semble que les longimanus apparaissent à Elphinstone autour de Septembre et qu’on puisse en observer jusqu’en Mai dans le sud. Les longimanus d’Elphinstone sont-ils habitués à la présence de l’homme. Je pense que oui. Leur territoire bien que vaste doit reconduire les mêmes spécimens sur les mêmes lieux. Comme ceux des Brothers, ils recherchent la présence des bateaux. J’ai d’ailleurs vu certains bateaux jeter de la nourriture par-dessus bord pour les attirer. Que dis-je, j’ai même vu des vidéastes qui utilisaient des poulets dont ils nourrissaient les squales pour obtenir de meilleures prises. Ainsi appâtés, les longimanus nageaient de façon rapide et saccadée parmi les plongeurs qu’ils chargeaient de temps à autre. Imaginez le danger pour un plongeur non averti qui viendrait à plonger dans les minutes qui suivent avec le même requin. A ce jour, il n’y a pas encore eu d’accident ni à Elphinstone, ni aux Brothers. Pas sur un plongeur en tout cas. Mais je me suis laissé dire qu’un snorkeler en revanche avait été attaqué. Peu importe, tout porte à croire que cela arrivera forcément un de ces jours à un plongeur et que ça ne prouvera rien. Pourtant je reste persuadé que les longimanus d’Elphinstone se sont habitués à l’homme, qu’ils vont sans doute se mettre à progressivement ignorer. Ce sont les bateaux qui les intéressent.

Les longimanus qui n’ont encore jamais rencontré l’homme en revanche conserveront ce naturel inquisiteur, cet instinct du large, cette envie de défier l’autre, qui sont la marque de fabrique de cette espèce.

Le longimanus est aujourd’hui particulièrement victime de la surpêche, et ce pour deux raisons : la taille de ses nageoires tout d’abord qui en fait une espèce fort prisée des trafiquants d’ailerons, mais aussi son comportement qui lui faisant suivre les bateaux, les cétacés et les bancs de pélagiques (les trois allant souvent de concert) le rend particulièrement vulnérable aux prises accidentelles (bycatch).

Autrefois parmi les requins les plus abondants, du fait de l’étendue de son habitat , le longimanus, victime d’interminables lignes garnies d’appât, comme de filets dérivants, est aujourd’hui l’un des requins les plus menacés, du fait de ce même habitat. Les temps changent.
Jadis hors de portée de l’homme, le longimanus est désormais hors de portée des lois qui pourraient le protéger et des autorités qui pourraient les faire respecter. Les deux spécimens que je pus filmer en très gros plan à Elphinstone étaient tous deux affublés d’un hameçon, l’un à la bouche, l’autre à une nageoire. Sans doute un souvenir du Soudan. Le longimanus fait partie de la liste rouge des espèces menacés de l’IUCN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), au même titre que l’ours polaire.

03/11/2006

Les requins sont-ils parfois pris de frénésie ?

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Un rassemblement beaucoup moins désorganisé qu'il n'y paraît. (Walker's Cay, Bahamas, Mars 2002)




On entend souvent parler de comportement frénétiques à propos des requins. Les anglo-saxons utilisent d’ailleurs le terme de « shark frenzy » pour désigner un rassemblement anarchique d’une ou plusieurs espèces, que ce soit autour d’une carcasse de baleines, d’un banc de calmars ou de toute autre source de nourriture abondante et facile. Les requins entreraient alors dans un état d’excitation frôlant la transe, sous l’effet d’une profusion de nourriture et d’odeurs diffuses. Des humains auraient d’ailleurs fait les frais d’un tel comportement lors de naufrages restés tristement célèbre dans les annales, comme celui de l’Indianapolis à la fin de la seconde guerre mondiale (que j’analyserai dans un prochain article). On pensait même, jusqu’à une époque pas si lointaine, que les squales pouvaient aller jusqu’à s’entre dévorer dans de telles situations. L’observation de ce comportement a largement contribué à construire la réputation de tueur imbécile et aveugle qui colle encore trop souvent à la peau rugueuse des requins.

Les requins, stimulés et en groupe, adoptent-ils cependant dans de telles occasions un comportement véritablement frénétique? Pas plus, voire moins, qu’un large groupe d’humains à l’occasion d’un cocktail. La peur de manquer génère souvent le désordre. Les mangeurs de petits fours en sont la preuve. C’est ce que je m’en vais tenter de vous démontrer.

Il m’a été donné d’assister au moins trois fois à de telles situations, dites de frénésie. Les deux premières artificiellement stimulées, notamment lors d’un « shark feeding »aux Bahamas, la troisième naturelle, lors du Sardine Run en Afrique du Sud .

Le « shark feeding » auquel il m’a été donné d’assister à Walker’s Cay (qui d’après ce qu’on m’a dit récemment ne serait plus pratiqué en cet endroit) et qu’on nommait « Shark Rodeo » (tout un programme !), n’avait rien de tout ce que cette sémantique peut laisser imaginer. Ce qui m’avait frappé alors, c’était le caractère discipliné des squales. Une ou deux fois par semaine, les propriétaires du centre de plongée remplissaient une poubelle de restes de poissons qu’ils mettaient au congélateur, un crochet métallique placé au centre. Une fois sur le site du feeding, on attachait une corde au crochet et on descendait le contenu de la poubelle ou « chumsicle » dans l’eau, tout en le maintenant à peu près stationnaire au moyen d’une amarre posée au fond. L’opération attirait environ une soixantaine de requins ainsi que d’autres poissons de récifs (mérous, fusiliers). Il s’agissait essentiellement de requins des caraïbes, de requins de récifs à pointes noires et de requins nourrices. Il est d’ailleurs à noter que ce sont quelques gros requins nourrices qui dominaient le groupe. On m’a dit que ce shark feeding avait, dans le passé, attiré jusqu’à 150 requins et que les espèces représentées avaient inclues, épisodiquement, des requins bouledogues, des requins tigres et même parfois un grand requin marteau. Les requins tournaient en rond ou plutôt en une spirale ascendante, prenaient une bouchée de poissons en voie de décongélation leur tour venu, puis repartaient faire la queue. Tout cela paraissait très organisé et rappelait un carrousel. Il ne manquait que la musique.

Il n’y eut qu’un seul moment de légère agitation, à la fin quand la boule d’appât devenue trop petite se détacha du crochet, entraînant trois ou quatre requins qui se la disputaient dans une brève course poursuite. Quelques instants plus tard, ces quelques « agités » se remirent à tourner bien sagement au fond. On était loin de la frénésie qu’on m’avait décrite. Je mis cela sur le compte de l‘habitude. Rompus à cette exercice bi-hebdomadaire, les requins s’étaient progressivement disciplinés. La routine quoi ! Artificiellement stimulée et régulièrement répétée, la frénésie s’était estompée, me disais-je. Nous avions donc plutôt affaire à un embouteillage bien géré qu’à un dangereux chaos.

En allait-il de même dans la Nature, dans une situation par définition inédite. J’obtins la réponse à cette question lors du Sardine Run 2005 où j’assistais par deux fois à ce qui, vu de la surface, pouvait s’apparenter à une mêlée désorganisée. Ce n’est que la deuxième fois, la visibilité autorisant une mise à l’eau sans danger, que je pus voir de quoi il en retournait vraiment.

Comme souvent lors du Sardine Run, un groupe de dauphins communs avait réussi à isoler et à bloquer contre la surface une poche de sardine. Les anglo-saxons nomment cela une « baitball » ou boule d’appât. Des requins cuivres et des requins sombres se firent rapidement de plus en plus nombreux, leur queue fouettant la surface avec ce qui aurait pu s’apparenter à de la rage.
Vues de sous l’eau les choses m’apparurent sous un tout autre jour. Certes les requins se déplaçaient plus vite qu’aux Bahamas et la présence de dauphins ainsi que d’une nuée d’oiseaux de mer conférait à la scène une atmosphère de folie, mais à y regarder de plus près il me semblait reconnaître une discipline… deviner une organisation. Je descendis en apnée de quelques mètres (la visibilité n’étant que de sept ou huit) pour m’apercevoir que les requins semblaient tourner en rond sous la boule de sardines, pour remonter chacun à leur tour en spirale. Comme aux Bahamas. Arrivés en haut il traversaient gueule ouverte la masse compacte de sardines puis redescendaient vers le fond pour reprendre leur tour.

Peu à peu, la présence de gros requins sombres (environ 3m50) sembla décourager les requins cuivres et les dauphins de s’approcher de trop près, mais la discipline sembla rester la même entre requins sombres. Le seul moment de relative désorganisation ne survint, là encore, qu’à la toute fin, quand les derniers requins se disputèrent les restes du festin. Et encore, je ne puis l’affirmer avec certitude, la prudence (et le début d’inondation de mon caisson) m’ayant fait regagner le zodiac. La Nature ne changeait pas les choses, tout au plus leur vitesse d’exécution, sardines vivantes et courant obligent.

D’où vient, du coup, ce mythe de la frénésie : de perceptions partielles sans doute, renforcées par quelques observations mal interprétées. Vu de la surface, on n’assiste bien souvent qu’à un festival d’éclaboussures qui semble désordonné, sans percevoir ce qui se joue vraiment en dessous. De surcroît, dans certains cas, comme la prédation sur une baleine morte, le requin, alors qu’il mord, semble pris de soubresauts qui agitent l’ensemble de son corps comme des spasmes incontrôlés. Il paraît « possédé ». Quand on connaît la position de la mâchoire inférieure de la plupart des requins et la nature de leur dentition, on comprend qu’il n’en est rien. Le requin est obligé de cisailler les morceaux de chair de cette façon, ce qui explique les mouvements de sa tête qui se répercutent sur l’ensemble du corps. Les dents du requins ne coupent pas, elles déchirent.

Un autre comportement explique également ce mythe de la frénésie. Lors des premières observations sous-marines de « frénésie », notamment celles filmées par Cousteau lors de son expédition sur les requins, les plongeurs, qui avaient méticuleusement appâté sur le site de tournage pour s’assurer la présence abondante de requins, descendaient ensuite parmi ces derniers dans des cages métalliques, des sacs remplis de poissons à la main. Le comportement qu’ils observaient souvent était celui de requins qui se mettaient « frénétiquement » à attaquer la cage et à en mordre les barreaux. Ils en conclurent que les requins, dans un état second, en venaient à faire et à mordre n’importe quoi.

Il y a une part de vérité là dedans, à ceci près que sont les plongeurs, acteurs qui se croyaient observateurs, qui en étaient la cause. Le requin grâce à ses ampoules de Lorenzini capte à courte distance le moindre champ électrique. Or les barreaux d’une cage constituent une concentration de métal qui n’existe pas à l’état naturel. Un surstimulus. Pas étonnant donc que confronté à une telle concentration, le requin disjoncte et morde la cage. A fortiori quand de celle-ci s’échappe une forte odeur de poissons morts. Les requins associaient donc naturellement et étroitement (à juste titre d’ailleurs) la nourriture, la cage et les plongeurs, identifiant probablement ces deux derniers comme des concurrents directs. Ceci explique leur agressivité. Enfermez donc deux personnes en train de manger une bonne entrecôte frites assis dans une cage en chocolat, placez la cage au milieu d’un groupe de personnes affamés et observez ce qui passera !
Un point intéressant à noter, les requins, que l’on voit sur certains films et clichés attaquer lors de « shark feeding » les plongeurs vêtus de côtes de maille qui les nourrissent, le font pour les mêmes raisons que ceux qui attaquent les cages. Ceci ne démontre en rien leur agressivité. Deux causes évidentes : le plongeur tient la nourriture en main et il vêtu d’une armure de métal. Cela même qui est censé le protéger -son armure- est en fait la cause partielle de l’attaque. Pour le reste, il est dans le même cas qu’un pêcheur sous-marin qui tient un poisson à la main en présence de requin : un concurrent à écarter.

Je voudrais terminer cet article un peu long par une note pratique : dans quelle condition peut-on s’approcher d’un groupe de requins en situation de soi-disant frénésie ?

Il semble tout d’abord essentiel de ne pas être la cause de cette frénésie, tout du moins dans l’esprit des requins. Ainsi, lors du Shark Rodeo bahaméen dont je parlais au début de cet article, les plongeurs prenaient d’abord place en arc-de-cercle au fond et ce n’est que plusieurs minutes après qu’ils aient quitté le bateau, que l’on faisait descendre la boule d’appât. Les requins n’associaient donc pas les plongeurs avec la nourriture, parce que ceux-ci ne les nourrissaient pas directement et qu’ils n’entraient pas dans l’eau au même moment que l’appât. Tout au plus les requins devaient-ils les prendre pour une autre espèce, également attirée par ce repas facile. Ce qui nous amène au deuxième point.
Il ne faut pas non plus que le requin prenne le plongeur pour un concurrent qui risque de lui disputer son repas. Pour cela, il est impératif de ne pas se trouver à proximité de la source de nourriture, ou même à l’intérieur de celle-ci dans le cas du Sardine Run. Il vaut également mieux éviter de se trouver dans le champ odoriférant que colporte le courant. Pour cela, il faut à tout prix éviter de se trouver à contre-courant de l'appât et se méfier particulièrement si le courant n'est pas franc. C’est en cela que le Shark Rodeo de Walker’s cay était bien pensé, donc très sûr. Les restes de poissons, étant congelés, ne s’éparpillaient pas dans l’eau autour des plongeurs/spectateurs. Pas de confusion possible pour les requins.
Dernière chose : éviter si possible de se trouver dans l’eau une fois la source de nourriture disparue. Les senteurs flottent et se diffusent dans l’eau sans qu’il n’y ait plus vraiment de source clairement identifiable. Et surtout, il n’y a plus rien à manger ! Il vaut mieux, si c’est possible, sortir de l’eau à ce moment là, où s'abstenir de s’agiter en surface.

Les requins ne sont pas nerveux, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peuvent pas s’énerver. Et quand on s’énerve, c’est bien connu, on fait des bêtises !

28/05/2006

Steak de requin : plat d'un jour



Il faut toujours commencer par balayer devant sa propre porte a t-on coutume de dire. C’est ce que je m’en vais faire dans cette note. Après avoir maudit depuis des années les cantonais qui ont eu la mauvaise idée de transmettre le virus de la soupe aux ailerons de requin à l’ensemble de la chine nouvellement capitaliste, quelle ne fut pas ma stupéfaction de constater, l’autre jour, dans un restaurant de la capitale où je dînais avec une amie, que du requin était au menu, sous forme de steak. Sur le moment, bien qu’un peu surpris, je mis cela sur le compte d’une volonté d’exotisme un peu déplacée. Il s’agissait d’un restaurant un peu branché de la rue des vinaigriers, dans le premier arrondissement de Paris, et je pensais le problème relativement circonscrit. J’avais déjà connu des restaurants à destination des touristes, en Afrique du Sud, qui proposaient du crocodile au menu, sans que le phénomène ne s’étende. Je commis l’erreur de croire qu’il en allait de même et ne fit même pas de remarque au restaurateur pour ne pas indisposer mon amie qui était une habituée. Il faudra que je retourne leur parler.

Ce que je prenais pour un cas isolé n’en était pas. Aujourd’hui même, dans le 10ème arrondissement, rue d’Hauteville, j’ai remarqué un bar-restaurant d’allure modeste, peuplé d’alcooliques encastrés dans le bar, baigné d'une odeur de cafard, de formica et de crême de cassis, qui proposait lui aussi du steak de requin comme plat du jour. Comme plat du jour ! Le mal s’étend. L’exception n’en était donc pas une.

Je ne reviendrais pas sur les faibles vertus culinaires du requin, pour avoir déjà couvert ce sujet dans une précédente note, car ce n’est pas le problème. Il ne nous viendrait pas à l’idée de manger du léopard aux champignons, même si c’était délicieux. Ce qui me paraît le plus grave avec cette nouvelle arrivée du requin sur nos tables, c’est ce qu’elle signifie. Devant l’interdiction progressive du « finning » (technique qui consiste à sectionner les ailerons et à rejeter le requin amputé par dessus bord), les pêcheries, désormais progressivement contraintes de garder le requin entier à bord, tentent de commercialiser le reste de l’animal. On cherche à créer un nouveau marché. On multiplie les causes d’un massacre d’autant plus stupide que l’exploitation du requin n’est absolument pas « durable ». Dans toutes les zones ou le requin a été surexploité, les volumes de prises se sont rapidement écroulés et les pêcheries ont dû fermer.

Il faut de toute urgence s’insurger contre ce nouveau marché de viande de requin. Les chinois seront suffisamment difficiles à faire évoluer sans qu’on ne crée un deuxième front. Il n’y a sûrement pas chez ces restaurateurs de volonté de nuire, tout simplement un manque d’information. Idem pour les clients. Il convient de rapidement les sensibiliser à ce qu’il sont en train de faire afin qu’ils retirent le requin de leur menu. A ce rythme, on va finir par nous proposer de la confiture de kangourou.

Je compte sur vous.

00:45 Publié dans Requinisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Animaux

22/05/2006

Le jour où plus aucun aileron ne dépassera


Ce jeune garçon fera t-il parti de la dernière génération à avoir vu un grand requin blanc en chair et en cartilage. Dyer island (Afrique du Sud), Juillet 2005.

Une étude menée par l’université de Dalhousie au Canada montre que les populations de requins de l’Atlantique Nord sont en déclin grave et auraient chuté de 50% en moyenne au cours des 15 dernières années. Pour certaines, nous ne sommes pas loin du point de non-retour. Ces études sont basées sur des taux de captures d’animaux marqués, mais aussi sur les quantités de requins pêchés par la flotte canadienne.

La situation varie sans doute selon les espèces. Ainsi le requin bleu, communément appelé peau bleue en France, résiste t-il probablement mieux, car sa maturité sexuelle est atteinte plus tôt que d’autres espèces et le nombre de petits qu’une femelle peut mettre au monde chaque année, autour de 50, est élevé pour un requin. Reste qu’on en aperçoit de moins en moins en Atlantique Est, sur les côtés anglaises (quatre ou cinq spécimens sont observés chaque année autour de l’île de Scilly), sans même parler des côtes bretonnes où il a quasiment disparu. Dans le cas du requin taupe commun, la situation est catastrophique. Pour le requin marteau hallicorne, qui a le malheur de se déplacer en immense groupe, la situation est elle aussi plus que préoccupante. 90% de baisse des prises ! Que dire du requin blanc dont les femelles n’atteignent la maturité sexuelle qu’autour de 4m50 et dont on pense que les livrées ne dépassent guère les 8 individus, même si là encore on ne sait pas grand chose. D’après cette étude, on ne l’observe plus sur au moins deux zones de pêche dans l’Atlantique Nord Ouest.

Une grande partie du problème vient de là : on ne sait pas grand chose et personne n’a vraiment intérêt à ce que ça change. Pas plus les pêcheurs professionnels que les pêcheurs dits« sportifs » pour lesquels la rareté du trophée fait sa valeur. Or le requin, situé en haut de la chaîne alimentaire, n’est pas censé subir à ce point le poids d’une quelconque prédation. Son cycle de reproduction, adapté à sa position sur cette chaîne alimentaire, est lent. Comment cette espèce pourra t-elle soutenir durablement une ponction de 150 millions d’individus par années, chiffre d’ailleurs tout à fait fantaisiste, qui traduit notre ignorance totale en la matière. On parle parfois de 100 ou de 200 millions de requins capturés chaque année. Du simple au double. C’est dire si l'on est au courant ! Nous ne faisons qu’extrapoler à partir de données en matière de tonnage qui ne sont elles mêmes pas fiables. Nous ne possédons pas de chiffre. Nous ne savons pas inventorier les populations. Nous opérons des ponctions sans même savoir la part qu’elles représentent. Une richesse disparaît devant nos yeux, sans même que nous ne le sachions. Au moins, quand les grands animaux ont commencé à se faire plus rares sur les grandes plaines africaines en a t-on pris conscience, même si ce fut un peu tard. Ce coup-ci rien, ou presque.

Pourquoi personne ne réagit-il ? La réponse est simple. Certains ne voient pas le problème, d’autres ne veulent pas le voir et d’autres encore, les pires peut-être, qui aiment hiérarchiser les choses de façon exclusive, pensent qu’il est presque malsain de s’autoriser le luxe de s’intéresser à ces animaux quand il y aurait bien d’autres problèmes plus importants à résoudre. Comme s'il fallait choisir. Ce sont toujours les mêmes qui trouvent de bonnes raisons de ne rien faire.
Bizarrement, et contrairement à ce qu’ils croient, beaucoup de choses se jouent avec la disparition des requins et notamment notre capacité à gérer ensemble à l’échelle mondiale des ressources communes. C’est pourquoi il y a lieu d’être pessimiste.

En effet, contrairement à ce que croient certains, nous ne nous en tirerons pas en reproduisant ce que nous avons fait sur la terre ferme. Quelques réserves marines ne garantiront pas la survie des espèces. Celles qui existent aujourd’hui, comme à Aliwal shoal en Afrique du Sud, montrent l’inadaptation d’une telle méthode. Les pêcheurs qui contrairement à d’autres endroits du globe respectent au moins la loi, se postent en périphérie du périmètre protégé, bien trop réduit pour des pélagiques, et capturent tout autant de pièces qu’ils le faisaient avant que la réserve n’existe. Les requins ne détectent pas les frontières virtuelles et leur terrain de chasse est hélas bien plus étendu que celui des grands prédateurs terrestres. Un lion possède en moyenne un territoire de 200km2 quant un requin plutôt sédentaire comme le requin bouledogue se déplace sur un périmètre d’au moins 150 kilomètres de long. En admettant qu’il fasse environ 20 ou 30 kms de large, ce qui ne constitue pas une hypothèse exagérée, son territoire serait de 4500km2. Pas mal pour un sédentaire. Les réserves ne servent donc qu’à protéger la faune des récifs. Pour protéger une animal marin, il ne faut pas protéger l’espace qu’il ne fait que traverser, mais l’animal lui-même. C’est ce qu’on a fait pour le grand requin blanc, c’est ce qu’on commence à faire en certains endroits pour le requin pèlerin ou le requin taureau, mais ceci n’empêche pas les captures accidentelles. Or ce n’est qu’en remontant l’animal mort ou presque qu’on découvre son identité. La pêche est une chasse où l’on tire dans le tas sans aucun discernement.

Car bien souvent le requin disparaît alors qu’il n’est pas même visé. Un dommage collatéral en quelque sorte. En effet, notre manière d’envisager l’exploitation des ressources des océans est placée sous le signe de la dilapidation. Les chalutages de fond génèrent ainsi des pourcentages de « déchets » impressionnants. On détruit des forêts entières avec leurs arbres et leur faune pour ne garder que quelques lapins. Les filets dérivants et les longues lignes constellées d’hameçons s’occupent des animaux de pleine eau. On tend d’immenses toiles d’araignées dans le ciel pour ne consommer que quelques mouches. C’est à notre façon de pêcher qu’il faudrait s’attaquer. Peut-être pourrait-on éviter certains types de pêches, dans certaines zones, à certains moments, connus de tous, qui sont des moments de migrations pour les requins, mais il faudrait pour cela pouvoir se coordonner, s’entendre. Autant dire une montagne.

Alors, que faire ? Certes poursuivre les combats que l’on vient d’évoquer, notamment celui contre les filets dérivants, mais aussi et surtout convaincre de l’inutilité de la pêche au requin. Il n’y a encore pas si longtemps, le requin était négligé. En effet, sa chair ne présente pas d’intérêt culinaire particulier et ne sert vraiment que dans les Fish and Chips, plat dont la culture culinaire mondiale pourrait fort aisément se passer. Jusqu’à récemment, quelques dizaines d’années à peine, seul son foie riche en vitamine A était considéré comme revêtant un quelconque intérêt. Ses ailerons étaient bien utilisés comme base d’une soupe dans la région de Canton, mais ce plat était jugé élitiste et banni par le gouvernement de Pékin. Ce n’est que vers la fin des années 80 avec l’ouverture de la Chine et sous l’influence est asiatique que la soupe aux ailerons de requins devint aussi prisée, notamment lors de banquets et de mariages. Or l’aileron de requin n’a aucun goût, on le mélange d’ailleurs dans cette soupe à un jus qui combine poulet et jambon et qu’il sert surtout à absorber. Selon la médecine chinoise, la soupe aux ailerons de requin, riche en protéines, aurait des vertus tonifiantes et aiderait la croissance du cartilage, mais d’un point de vue scientifique, on s’accorde à dire que le requin a peu de valeur nutritionnelle. Il se pourrait même que les fortes concentrations en mercure que contiennent les ailerons puissent à terme s’avérer dangereuses pour l’homme. C’est connu, plus un animal se situe haut dans la chaîne alimentaire, plus il pâtit des pollutions qui touchent celle-ci dans son ensemble.
Il est peut-être encore temps de sensibiliser ces populations pour qu’elles se défassent de cette coutume somme toute récente et dénuée d’intérêt culinaire ou médicinal. Tout comportement déviant d’une population de plus d’un milliard d’habitants créera systématiquement des déséquilibres voire des catastrophes. Le requin n’est qu’un exemple parmi d’autres à venir. Sa consommation est irrationnelle. Comme pour le rhinocéros, on veut s’attribuer les vertus fantasmées de l’animal en l’ingérant. Encore une fois, le requin meurt pour l’idée qu’on s’en fait.

Tous autant que nous sommes, français et espagnols, sud-africains et australiens, alimentons le marché asiatique, soit en vendant directement sur ces marchés, soit en autorisant les long liners taïwanais dans nos eaux. Nous sommes tout aussi responsables. Serons-nous collectivement capables de mettre un terme à un règne de 170 millions d’années sur les océans du globe ?

Quand le requin aura complètement disparu, nous ne le saurons même pas. Dans un monde où plus aucun aileron ne dépassera, il continuera de hanter nos rêves et demeurera à titre de possible, caché sous la surface. Alors seulement, il pourra n’être plus que cette fiction à laquelle nous l’aurons réduit.

Nous ne nous déferons pas de la peur de mourir en supprimant le requin, mais sans doute nous éloignerons nous un peu plus de la vie.

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27/04/2006

Les requins nous prennent-ils vraiment pour des phoques ?

Pour qui ce jeune reporter de la télévision suisse prenait-il ce requin blanc? Pour un animal de cirque sans doute.
Geyser Rock (Afrique du Sud), juillet 2005


Parmi les idées reçues que l’on entend souvent depuis quelques années revient souvent celle selon laquelle les requins, dotés d’une mauvaise vue, nous confondraient, selon les cas avec des phoques ou avec des tortues, ce qui expliquerait bon nombre d’attaques.

Vu du dessous, un plongeur avec ses palmes et sa combinaison pourrait être mépris pour un phoque et un surfer et sa planche pour une tortue. L’espèce de requin à laquelle on fait référence n’est le plus souvent pas spécifiée, mais on peut supposer que les principaux concernés sont le requin blanc et le requin tigre, grands amateurs de phoques et de tortues

Il y a certainement là encore une forme d’anthropomorphisme. En effet, ne surestime t-on pas l’importance de la vue chez le requin en partant du principe qu’elle pourrait être le facteur déclenchant d’une attaque ? Joue t-elle vraiment un rôle prépondérant pour le requin tigre qui attaque parfois de nuit. C’est peut-être surtout de notre point de vue, en se fondant sur le rôle qu’elle joue chez nous, que la vision oculaire nous paraît aussi importante.

Deux éléments portent pourtant à croire que le requin tigre n’attaque pas le surfer parce qu’il se méprend. Tout d’abord, le fait que le requin tigre est probablement parmi les requins celui dont le menu est le plus varié. Le contenu de son estomac est d’ailleurs souvent assimilé à celui d’un catalogue d’objets insolites. N’y a t-on pas déjà retrouvé une plaque d’immatriculation qu’on ne voit pas bien avec quel animal marin il aurait pu confondre. La seconde raison tient au fait que le requin tigre est un requin qui « goûte » ses proies en les mordant. Là où d’autre se contentent de se frotter à elle ou de les cogner pour « voir » de quoi il s’agit, le requin tigre analyse la texture de l’objet avec sa bouche. Ce que nous percevons comme une attaque n’est ainsi bien souvent du point de vue du requin qu’une recherche d’identité.

De ces raisons, on peut déduire que le requin tigre est un prédateur opportuniste et curieux, ouvert à de nouvelles saveurs qu’il juge sur pièce. Deux bonnes raisons de se méfier du requin tigre qui n’ont rien à voir avec le fait de ressembler à une tortue. Surfer rassurez-vous, votre nouvelle combinaison imitation carapace ne vous mettra donc pas plus en danger qu’une autre ! En revanche, n’oublions pas que le surf est probablement le sport aquatique dont les pratiquants passent le plus de temps dans l’eau. Ce sont peut-être ceux qui ont le plus de chance, même si ces dernières restent infimes, de rencontrer ce chasseur opportuniste et parfois avide de nouveauté qu’est le requin tigre.

Le cas du requin blanc est un peu différent. On sait que la vue joue un rôle plus important chez ce dernier que chez le tigre. Il est souvent observé pointant le museau au-dessus de la surface, comme pour faire un tour d’horizon. Son grand œil noir est légendaire et d’ailleurs, il n’attaque pas, à ma connaissance de nuit. Ceci ne veut pas forcément dire que la vue constitue le seul sens jouant un rôle important lorsqu’il chasse. En effet, quand on connaît l’acuité de ses autres sens on peut supposer que ces derniers se combinent pour donner une image assez précise de l’animal attaqué. La forme n’est d’ailleurs sans doute pas la seule donnée. Les mouvements dans l’eau, la vitesse de déplacement sont sûrement aussi, « voire » plus important. Son cerveau, tout entier consacré à percevoir le plus précisément possible l’image présente, ne prend certainement pas les vessies pour des lanternes. On ne survit pas 180 millions d’années en commettant de pareilles bourdes.

Certes il arrive au grand requin blanc de commettre des erreurs, mais elle ne sont pas si grossières que cela. On arrive à le faire sauter en dehors de l’eau en traînant un mannequin de polystyrène en forme de jeune otarie derrière un bateau, mais la ressemblance est, dans ce cas, beaucoup plus évidente et la méprise excusable. La fausse otarie, tractée par le bateau, se déplace de surcroît à une vitesse qui rend le subterfuge crédible. Il n’en va pas de même pour un plongeur ou pour un baigneur dont la silhouette, la vitesse et les mouvements diffèrent de ceux de l’otarie.

Mais alors pourquoi le requin blanc attaque-t-il, si l’homme ne fait pas partie de son menu et qu’il ne se méprend pas ? Plusieurs explications me viennent à l’esprit. Tout d’abord, tout comme le requin tigre, il arrive au requin blanc de « goûter » avec la bouche un objet inconnu. Après avoir longtemps tourné, il tâte généralement l’appât ? Vue la taille et la dentition du grand blanc, cette séance de dégustation est généralement assimilée à une attaque. C’est ce qui s’est produit au large du Chili, il y a une dizaine d’années. Un grand blanc, aperçu en surface juste avant l’attaque, s’est emparé de la jambe d’une jeune plongeuse qui se détendait en surface. Or d’ordinaire, le grand blanc chasse toujours à l’affût, maraudant en profondeur avant de déclencher une attaque soudaine. Pour le requin, il ne s’agissait donc certainement pas d’une attaque, plutôt d’une exploration, aussi terribles que puissent être les conséquences eût égard à la taille de l’animal.

Deux autres facteurs peuvent également constituer des pistes d’explications. Il arrive peut-être au grand blanc de s’entraîner à la chasse, comme les jeunes félins le font parfois. On le constate aux pingouins morts que l’on retrouve parfois en surface dans les eaux qui entourent Dyer Island en Afrique du Sud. Les grands blancs tuent les pingouins, mais ne les consomment pas. Or il ne paraît pas concevable qu’ils les prennent pour des otaries, vue leur taille.
Il est intéressant de noter à cet égard que les grands blancs que l’on trouve autour de Dyer Island dépassent rarement les 4m50, grand maximum, alors même qu’on a aperçu des individus dépassant les 6m dans les environs. L’explication la plus plausible est que le menu du requin blanc varie au cours de sa vie. Vient un temps où en grandissant, il abandonne sans doute le régime otarie entamé à l’adolescence pour s’ouvrir à de nouvelles sources de nourritures. Ces changements de régimes nécessitent certainement des périodes d’apprentissage qui expliquent peut-être certains comportements atypiques, tout à fait exceptionnels.

En effet, les attaques dont nous parlons ici sont rarissimes comparées au nombre d’occasions probables où un requin blanc détecte la présence d’un humain (sans que l’inverse ne soit vrai) et passe son chemin. La plupart des requins tigres et des grands blancs ne nous prennent donc certainement ni pour des phoques, ni pour des tortues, mais nous, dans notre immense majorité, pour qui les prenons-nous ?

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21/04/2006

Dans quelles circonstances le requin bouledogue risque t-il d’attaquer ?

Ma femme en compagnie d'un requin bouledogue à Walker's Cay, à l'endroit même où le Dr Ritter connut son accident une semaine plus tard. Bahamas, Mars 2002.



Parmi les requins qui trimbalent une sale réputation, on trouve le requin bouledogue, également connu selon les zones géographiques sous le nom de bullshark, requin du Zambèze, requin du Lac Nicaragua et parfois confondu avec le requin du Gange, en fait plutôt placide. Ces diverses appellations tiennent pour partie au fait qu’il y a quelques dizaines d’années, certains, Cousteau le premier (cf. Cousteau, Les requins), croyaient qu’il s’agissait de plusieurs espèces différentes. On pensait ainsi que le requin du lac Nicaragua était une espèce endémique qui s’était retrouvée prisonnière lors d’une baisse du niveau des mers en des temps éloignés. On méconnaissait alors la capacité du requin bouledogue à remonter les fleuves comme le ferait un saumon. On ignorait son pouvoir d’adaptation à deux milieux radicalement différents, l’eau douce et l’eau de mer, rendu possible par la capacité de son foie à stocker du sel qu’il libère quand il se trouve en eau douce.

Au cours des dix dernières années, la cote d’agressivité du requin bouledogue a sérieusement augmenté. Requin encore largement méconnu de beaucoup il n’y a pas si longtemps, il est passé bien malgré lui au premier plan, en partie sous l’effet de la réhabilitation du Grand requin blanc. C’est connu, quand on disculpe un suspect, il faut vite trouver un nouveau coupable. Comble de l’ironie, on est à peu près sûr aujourd’hui que les attaques qui avait inspiré Peter Benchley pour rédiger les Dents de la mer, qui eurent lieu à Matawan Creek dans le New Jersey en 1916, étaient le fait d’un requin bouledogue. Pourquoi en est-on sûr ? Parce que Matawan Creek est situé à 20kms à l’intérieur des terres et que seul un requin bouledogue s’aventurerait aussi loin en eau douce, mais aussi parce que le dernier doute qui tenait à la température de l’eau dans le New Jersey, jugée trop froide pour un requin bouledogue, a semble t-il été levé par la récente capture d’un spécimen de cette espèce en Nouvelle-Zélande (une première). Ainsi, le requin bouledogue a totalement endossé l’ancien costume d’assassin de son lointain cousin le grand requin blanc. Les Dents de la mer, en fait, c’était lui.

Peut-on dire néanmoins que le requin bouledogue soit agressif ? Les nombreuses séries d’attaques qui eurent lieu en Afrique du Sud et notamment celles de 1974-75 après la pose des filets de protection sur les plages de la côte sud du Natal, ainsi que celles plus proches de nous lors de l’été 2001 sur les plages de Floride, semblent confirmer que oui. L’attaque dont a été victime le « scientifique » Suisse Erich Ritter à Walker’s Cay en Avril 2002, alors justement qu’il cherchait à démontrer le peu de probabilité d’une telle attaque, paraît confirmer également cette mauvaise réputation.

Le requin bouledogue est-il pour autant "agressif" ? Certes, il est impliqué dans de nombreuses attaques, même si on a tendance à lui faire porter l’entière responsabilité de séries qui impliquent peut-être également d’autres espèces, néanmoins il convient de souligner que celles-ci comportent toutes une similitude : des eaux troubles, une visibilité qui n’excède pas deux mètres dans les meilleurs cas. C’est le cas des embouchures de rivières. De surcroît, dans la mesure où le requin bouledogue s’aventure en eau douce, on n’a pas de mal à comprendre que c’est une des espèces qui s’approche le plus près des plages. Et quand il y a des vagues, l’eau est souvent trouble. On comprend mieux pourquoi les surfers sont particulièrement menacés. A Walker’s Cay, au nord des Bahamas, où Ritter connut son accident, les requins bouledogues nagent dans 50 cm d’eau et Gary Adkinson, le directeur du centre de plongée m’a affirmé qu’ils les avaient vus parfois quasiment s’échouer pour attraper un morceau de thon sur un rocher. En nageant aussi près du bord, le requin bouledogue est probablement l’espèce qui a le plus de chance de tomber nez à nez avec l’homme.

L’accident de Ritter a confirmé la thèse de l’eau trouble comme condition quasi nécessaire d’une attaque. Au cours du tournage d’une séquence pour Discovery channel, le sable du fond avait été remué par les nombreux plongeurs de l’équipe, troublant ainsi momentanément l’eau. C’est alors que survint l’attaque, précipitée par une autre cause : un rémora (poisson ventouse se nourrissant des restes du repas des requins) déroba au nez et à la barbe d’un requin bouledogue un morceau de poisson. S’ensuivit une brève course poursuite en eau trouble où le rémora, s'inspirant probablement de Tex Avery, passa entre les jambes du Dr Ritter qui se fit ensuite mordre par le squale qui le suivait. Ritter faillit y laisser sa vie et sa jambe dont il perdit néanmoins l’usage normal, alors même que le requin l’avait relâché immédiatement après avoir mordu. Dans une situation d’eau trouble, saturée d’odeur de poissons, le requin ne se dirigeait probablement plus qu’au son, au toucher et aux courants électriques tout en percevant certains contrastes de couleurs (or les jambes de Ritter étaient nues et blanches).

Cette deuxième cause que constituait le rémora est également très intéressante. Le requin bouledogue réagit soudainement et au quart de tour. J’ai moi-même plongé à Walker’s Cay avec ces bullsharks une dizaine de jours avant que ne survienne cette attaque. L’eau était cristalline. Alors que je rentrais pour la seconde fois dans l’eau, je commettais l’erreur d’introduire une de mes palmes dans l’eau un peu brusquement. Immédiatement les requins qui tournaient pour certains à quelques dizaines de mètres se dirigèrent à toute vitesse dans ma direction pour voir ce qui avait causé ces remous. L’avertissement était clair : pas de gestes brusques, pas de remous en surface, pas de basse fréquence. L’incident fut sans conséquence parce que l’eau était limpide.

Certes, les bouledogues de Walker’s Cay étaient conditionnés à réagir à de tels remous en surface parce que les morceaux de poissons qui les attiraient en cet endroit leur étaient jetés depuis une plate-forme en bois et produisaient les mêmes fréquences quand ils heurtaient la surface, mais qui nous dit qu’en chaque endroit le requin bouledogue n’est pas conditionné d’une certaine manière qui varie et qui nous échappe. En effet le territoire du requin bouledogue n’est pas aussi étendu que celui d’autres variétés et on retrouve systématiquement les mêmes individus sur les mêmes récifs à divers moments de l’année. En Afrique du Sud, des spécimens ont été retrouvés au maximum à une centaine de kms de l’endroit où ils avaient été marqués quelques années auparavant. Le requin bouledogue a donc peut être plus de raisons que d’autres grands requins d’être un animal d’habitude. Trevor Krull a constaté le même effet d’accoutumance sur Protea Banks. Il fut le premier à plonger sur ce récif en tant que pêcheur sous marin et quand il emmena les premiers plongeurs bouteilles, il semble que les requins bouledogues aient d’abord considérés que « plongeur = pêcheur sous marin ». Les premières plongées furent apparemment épiques, les requins chargeant les plongeurs et déviant leur course à la dernière seconde pour les intimider. Les plongées sur Protea débutèrent en 1993-94 et aujourd’hui, 12 ans plus tard, les requins ne sont plus aussi intéressés par les plongeurs qu’ils ont rangé dans une case apparemment sans grand intérêt pour eux. Ainsi, le comportement du bouledogue peut changer, il peut s’habituer progressivement à une nouvelle situation, ce qui le rend hautement imprévisible puisqu’on commet l’erreur de croire que tous les individus d’une même espèce se comportent de la même manière. Ceci explique aussi les différences constatées entre les différentes populations selon les endroits du monde. Ainsi on dit les requins du Zambèze plus agressifs que leurs cousins des Caraïbes, mais rien ne prouve cette assertion à ma connaissance.

En résumé, le requin bouledogue n’est certainement pas le plus agressif des requins. Il ne faut pas se méfier de cette espèce en soi, mais plutôt des circonstances dans lesquelles on peut la rencontrer. Le même individu pourra s’avérer extrêmement dangereux dans les eaux troubles et saturées d’odeur de l’embouchure d’un port comme celui de Mombassa et quasi inoffensif sur un récif en eaux claires quelques kms plus loin. Toujours à Walker’s Cay, Gary Adkinson en compagnie du Dr Fernicola mena une expérience en jetant des morceaux de poissons recouverts de plastiques alors que les requins bouledogues étaient en soi-disant situation de « frénésie » alimentaire. Il s’avéra qu’alors que l’eau était toujours cristalline, les requins n’avalèrent, ni ne mordirent le plastique, se contentant de vérifier la texture avec leur derme. Une fois de plus, l’eau était claire.

Il convient donc, quand la présence du bouledogue est probable, d’éviter les eaux troubles et saturées d’odeurs, les battements de pieds en surface et surtout de porter une combinaison de plongée sans contrastes de couleurs. A cet égard, le port de gants est préférable.

Le requin bouledogue est aujourd’hui probablement un des requins les plus menacés sur les côtes sud-africaines (cf. lien). Le danger que nous courons en sa présence est infime par rapport à celui qu’il court en la nôtre.

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